WINSTON-SALEM (CAROLINE DU NORD) – Une étude vient rappeler le sérieux risque d’interactions médicamenteuses entre le millepertuis, une plante médicinale très utilisée dans certains pays, contre la dépression, et des médicaments souvent prescrits comme la pilule contraceptive et les anticoagulants. La liste des médicaments avec un risque d’interactions potentiel avec le millepertuis est très longue. Ce nouveau travail de recherche montre que les interactions avec cette plante sont plus fréquentes que l’on croyait et parfois potentiellement graves, voire mortelles.
Le millepertuis est interdit à la vente en France dans son indication pour soigner la dépression, à cause justement du risque trop élevé d’interactions, mais dans d’autres pays comme l’Allemagne, la Suisse ou le Canada le millepertuis est très utilisé.
Contre la dépression
Le millepertuis, qui porte aussi le nom d’herbe de la St-Jean, grâce sa floraison proche de la fête de la St-Jean le 24 juin, est dans de nombreux pays du monde le traitement alternatif le plus utilisé pour soigner la dépression. Aux Etats-Unis, le millepertuis appartient selon un classement réalisé il y a quelques années par la Mayo Clinic (institution médicale de référence aux Etats-Unis) aux 10 traitements naturels les plus utilisés, il se place en 6ème position, le premier et loin devant étant l’échinacée.
On estime que la thérapie à base de millepertuis doit durer au moins 4 à 6 semaines pour être efficace, les premiers effets antidépresseurs apparaissent en général seulement 10 jours après le début du traitement. Toujours selon la Mayo Clinic, l’efficacité du millepertuis est prouvée par différentes publications scientifiques pour soigner une dépression légère à modérée. Cette plante semble toutefois ne pas être efficace contre la dépression grave. Les préparations à base de millepertuis ont l’avantage de présenter moins d’effets secondaires en général que les antidépresseurs classiques (de synthèse), mais le risque d’interactions est très élevé comme le relève la Mayo Clinic.
A cause de son utilisation fréquente, des chercheurs américains ont essayé de mieux comprendre le risque d’interactions entre le millepertuis et de nombreux autres médicaments très utilisés comme les contraceptifs.
Selon ces chercheurs, le millepertuis peut diminuer la concentration de nombreux médicaments dans l’organisme et notamment le sang comme les contraceptifs oraux, les fluidifiants sanguins (anticoagulants), les chimiothérapies ou encore des antihypertenseurs, ce qui peut mener à de graves problèmes de santé.
«Les patients croient souvent à tort que des médicaments d’origine naturelle comme le millepertuis sont sûrs» affirme la Dresse Sarah Taylor qui a mené cette étude au Wake Forest Baptist Medical Center à Winston-Salem, en Caroline du Nord (Etats-Unis). Elle poursuit: «Il est essentiel que les médecins connaissent ce risque d’interaction et le communiquent clairement aux patients.»
En Europe, notamment en Suisse où le médicament est en vente libre, le pharmacien qui suit une longue formation sur la médecine par les plantes (phytothérapie) a un rôle clé dans l’information de qualité délivrée aux patients et complète souvent le travail du médecin. De nombreuses pharmacies utilisent de nos jours des systèmes informatiques qui permettent d’identifier automatiquement le risque d’interactions entre médicaments, pour autant que le patient se rende toujours dans la même pharmacie ou qu’elle soit rattachée à un groupement ou chaîne de pharmacies.
L’étude en détail
Les chercheurs ont examiné des données de patients récoltées entre 1993 et 2010 par le National Ambulatory Medical Care Survey sur le nombre d’interactions entre médicaments. Les scientifiques ont observé que 28 % des cas d’interactions problématiques pour la santé provenaient ou impliquaient le millepertuis.
Des exemples observés d’interactions entre des médicaments et le millepertuis sont le syndrome sérotoninergique, une maladie potentiellement mortelle caractérisée par une accumulation de sérotonine dans l’organisme, des maladies cardiaques provoquées par une diminution de l’efficacité des médicaments sur le système cardiovasculaire ou encore une grossesse non désirée suite au manque d’effet de la pilule contraceptive. D’autres interactions connues du millepertuis se manifestent avec l’utilisation concomitante de certains antidépresseurs (notamment les inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine ou ISRS), la théophylline, la cyclosporine, certains immunosuppresseurs, des dérivés de la digitale ou encore des antiviraux (ex. contre le HIV). La liste est longue, votre médecin et pharmacien pourront vous donner davantage d’informations si vous prenez du millepertuis.
Cette étude nous rappelle qu’il faudra notamment éviter d’utiliser en même temps le millepertuis et un antidépresseur de la classe des ISRS, à cause du risque potentiellement mortel du syndrome sérotoninergique.
Les chercheurs ont seulement pris en compte les interactions enregistrées par les médecins. Selon la Dresse Taylor, le nombre d’interactions pourrait être sous-estimé, car certains patients n’ont pas informé leur médecin qu’ils prenaient du millepertuis. Rappelons que ce produit est en vente libre en pharmacie aux Etats-Unis (selon nos informations) et que les patients oublient parfois d’informer le médecin sur tous les médicaments consommés.
Avertissements sur les emballages, des changements à venir
La Dresse Taylor estime qu’il faudrait mettre clairement des avertissements sur l’emballage des médicaments à base de millepertuis, afin d’informer correctement le patient du risque qu’il encourt lorsqu’il prend en même temps d’autres traitements médicamenteux. Selon la Dresse Taylor, la France a interdit l’utilisation du millepertuis contre la dépression à cause de ce risque et des pays comme les Etats-Unis, le Japon, le Royaume-Uni et le Canada sont en cours de processus pour inclure des avertissements du risque d’interactions avec les médicaments à base de millepertuis sur l’emballage. Remarquons que les notices d’emballage contiennent déjà les différents risques pour la santé, que cela soit les effets secondaires, contre-indications ou interactions.
La Dresse Taylor conclut en affirmant: «Les médecins doivent être entraînés à toujours demander au patient s’il prend des compléments alimentaires comme des vitamines, minéraux ou plantes médicinales, surtout avant de prescrire un médicament qui pourrait interagir avec le millepertuis.»
Cette étude a été publiée dans la version online de la revue The Journal of Alternative and Complementary Medicine en juin 2014.
À retenir de cette étude
– Le millepertuis est un médicament très utilisé dans la population dans certains pays (Allemagne, Etats-Unis, Canada, Suisse).
– On savait déjà que le millepertuis menait à des interactions, cette étude relève son étendue, parfois sa gravité, et surtout montre sa grande fréquence parmi la population.
– Les médecins et pharmaciens devront davantage prendre en compte le risque d’interaction entre le millepertuis et d’autres médicaments ingérés par le patient.
– Il faut absolument éviter d’utiliser des antidépresseurs chimiques comme les ISRS et le millepertuis en même temps.
– Le millepertuis est un médicament avec une efficacité prouvée contre la dépression légère à modérée avec souvent moins d’effets secondaires que des antidépresseurs classiques (chimiques ou de synthèse).
Le 3 juillet 2014. Par Xavier Gruffat (pharmacien). Sources: communiqué de presse du Wake Forest Baptist Medical Center.
Meta données
Nom original de l’étude (en général en anglais) | Date de publication | Média | Institution, université |
Use of St. John’s Wort in Potentially Dangerous Combinations | 23 juin 2014 | The Journal of Alternative and Complementary Medicine (édition online) | Wake Forest Baptist Medical Center à Winston-Salem, Caroline du Nord (Etats-Unis) |