Pharmacien, nouveau coach de luxe pour soigner l’hypertension ?

” Le partenariat entre le patient et le pharmacien fait toute la différence. “

rôle du pharmacien contre l'hypertensionZOUG Le site de santé américain Webmd.com révèle dans un article daté du 2 juillet 2013 une étude qui réjouira probablement les pharmaciens suisses. Cette étude a montré que le suivi de la tension chez des patients hypertendus grâce à un tensiomètre à domicile et l’implication du pharmacien au niveau thérapeutique incluant la délivrance de conseils sur le style de vie (lifestyle) a permis de mieux contrôler la tension et même de l’abaisser. Cette étude a été publiée dans la revue Journal of the American Medical Association début juillet 2013.
Sans rentrer dans trop de détails sur le système de santé américain, probablement complexe et qui varie pour chaque Etat, cette étude est à nos yeux très intéressante pour l’avenir de la profession de pharmacien que cela soit aux Etats-Unis ou dans d’autres pays comme la Suisse.

Hypertension, une maladie très fréquente

Le traitement de l’hypertension permet de prévenir efficacement différentes maladies cardio-vasculaires comme l’infarctus du myocarde ou l’AVC. Rien qu’en Suisse plus de 12’000 personnes souffrent d’AVC chaque année.

Rappelons que l’hypertension touche une très grande partie de la population. On estime que 30% des Américains adultes en souffrent. En Suisse cette proportion s’élève à environ 25% de la population adulte. Un grand problème de l’hypertension est qu’à peu près 50% des patients ne sont pas au courants qu’ils sont touchés par cette maladie (données pour les Etats-Unis, en Suisse nous n’avons pas trouvé d’études à ce sujet).

Détail de l’étude

L’étude a porté sur 450 volontaires hypertendus présentant une hypertension mal contrôlée. Cette étude a duré 18 mois  avec une première phase de 6 mois. Tous les patients recevaient un traitement médicamenteux contre l’hypertension. Les volontaires ont été divisé en 2 groupes. L’un, appelé groupe d’intervention, comptait 228 patients. Les patients de ce groupe ont été  équipé d’un tensiomètre à utiliser à domicile et ont été suivi par un pharmacien qui donnait des conseils sur le style de vie pour abaisser la tension. Le pharmacien pouvait aussi intervenir sur la thérapie médicamenteuse (lire davantage ci-dessous).

L’autre groupe de patients, qui comptait 222 volontaires, a reçu des soins contre l’hypertension à base de médicaments mais n’a pas utilisé de tensiomètre à domicile et aucun pharmacien ne les a suivi de façon régulière comme dans le groupe d’intervention.

Les résultats de cette étude se sont montrés significatifs. Après 6 mois, 72% des patients du groupe d’intervention ont vu leur tension être sous contrôle (stabilisée à un niveau satisfaisant de tension) contre 45% dans le groupe qui ne contrôlait pas sa tension à domicile et n’avait pas de suivi de la part du pharmacien.

Après 6 mois de traitement, la tension systolique a baissé de 11 mmHg  en plus dans le groupe d’intervention comparé au groupe témoin (sans tensiomètre et sans intervention du pharmacien).  Autrement dit, les patients du groupe d’intervention avaient en moyenne une tension inférieure de 11 mm Hg par rapport au groupe témoin.

Après 12 mois de traitement, l’écart s’est élevé à 10 mmHg entre le groupe d’intervention et le groupe témoin (présentant une tension plus élevée).

La Dresse Kren Margolis, qui a participé à l’étude, relève dans l’article de Webmd que “la raison pour laquelle seulement 50% des patients arrivent contrôler leur hypertension est que la thérapie classique ne marche tout simplement pas. Nous avons donc combinés 2 méthodes supplémentaires très efficaces pour soigner l’hypertension – le contrôle par tensiomètre à domicile et le suivi par un pharmacien. Les résultats ont été très positifs pour le contrôle de la tension”.

Le rôle du pharmacien

Dans le groupe d’intervention, chaque patient a reçu de la part du pharmacien au début du traitement des explications techniques pendant 1 heure sur le tensiomètre et son utilisation à domicile. Ensuite le pharmacien s’entretenait par téléphone avec les patients pendant les 6 premiers mois de l’étude chaque 2 semaines, jusqu’à ce que la tension soit stabilisée pendant au moins 6 semaines, puis une fois stabilisée chaque mois.  Depuis le 7ème jusqu’au 12ème mois, l’entretien téléphonique était effectué chaque 2 mois.

Pendant toute cette étude, les patients devaient envoyer au moins 6 mesures de la tension mesurées à un moment différent de la journée (ex. le matin et le soir) chaque semaine. Le pharmacien pouvant ensuite analyser ces données.

Lors de l’entretien téléphonique le pharmacien a divulgué des conseils sur le style de vie pour abaisser la tension.

Le pharmacien, et c’est un point intéressant de l’étude, avait le droit de changer la thérapie médicamenteuse du patient. Pour effectuer ces changements dans la médication, le pharmacien utilisait un algorithme (comme un guide, voir références en bas de l’article pour plus d’informations) provenant de guideline américain sur l’hypertension.

Le pharmacien était en fait autorisé à varier le dosage du médicament, changer de molécule ou intégrer une nouvelle molécule en fonction de l’algorithme utilisé. Par exemple dans cet algorithme on apprend qu’un patient ne prenant aucun traitement présentant une tension systolique de 1 à 19 mmHg au dessus de l’objectif de tension cible ou une pression diastolique de 1 à 9 mmHg au dessus de la cible de tension recevra du pharmacien un médicament diurétique et des conseils sur le style de vie. Pour chaque patient il existe un conseil à appliquer. Le médecin était toujours mis au courant en cas de changements dans la médication effectuée par le pharmacien.

Les résultats très positifs de l’étude montrent le rôle important du pharmacien dans le “coaching” de l’hypertension.Selon Mme Margolis “le partenariat entre le patient et le pharmacien fait toute la différence”.

Coûts

On sait que le système de santé américain est de loin le plus coûteux parmi les pays développés et représente environ 20% du PIB de ce pays (source The Economist, 3 juillet 2013). Les causes de dépenses si élevées dans le domaine de la santé sont en partie à cause des hauts salaires des médecins, des prix des médicaments élevés et probablement d’un manque d’efficience dans certains hôpitaux. Selon Mme Margolis, le coût par patient pour un suivi avec le pharmacien avec cette étude s’élève entre USD 1’200 et USD 1’300. Elle ignore encore si la diminution des risques cardiovasculaires grâce à cette méthode compense les coûts plus élevés engendrés dans le groupe d’intervention. Elle estime qu’il pourrait néanmoins être possible d’optimiser cette méthode pour la rendre meilleure marché.

L’implication du pharmacien dans l’hypertension n’est donc peut-être pas une grande économie pour le système de santé mais est, selon nous, une expérience très intéressante qui mérite d’être prise au sérieux, notamment en cas de pénurie de médecins et pour recentrer le travail du médecin sur des tâches à forte valeur ajoutée (le libérer de certaines tâches plus routinières) et tout simplement pour sauver des vies. Car on le voit, cette méthode est efficace, vu qu’elle contribue à diminuer l’hypertension.

Et les médecins ?

Le site Webmd.com conclut son article sur l’ombre possible faite aux médecins dans le  traitement de l’hypertension. On sait qu’aux Etats-Unis, comme en Suisse, le suivi des maladies chroniques (ex. hypertension, diabète, cholestérol) est une source importante des visites médicales et donc de leurs revenus.

Toutefois une femme médecin interrogée par le site Webmd semble plutôt ouverte au dialogue. Elle estime que comme cette méthode amène des résultats positifs pour les patients, elle peut s’avérer très intéressante.

A l’heure d’une certaine pénurie de médecins, surtout dans les campagnes suisses, ce type d’expérience réalisée avec une maladie chronique très fréquente peut être une excellente idée pour améliorer le système de santé et renforcer l’image positive du pharmacien. En Suisse, selon nos informations, le pharmacien n’est pas autorisé à intervenir sur la thérapie et changer de molécule, comme dans cette étude.

Si vous connaissez d’autres expériences réalisées avec le pharmacien sur l’hypertension ou d’autres maladies chroniques, en Suisse, aux Etats-Unis ou dans d’autres pays. N’hésitez pas à laisser votre commentaire ci-dessous. Vos remarques sont aussi la bienvenue.

Par Xavier Gruffat, Pharmacien – Article écrit le 11 juillet 2013, publié aussi sur le site Pharmapro.ch

Lien vers l’article publié par Webmd : http://www.webmd.com/hypertension-high-blood-pressure/news/20130702/pharmacist-guided-home-blood-pressure-monitoring-may-help-patients

Lien vers l’étude originale : http://jama.jamanetwork.com/article.aspx?articleid=1707720

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Informations sur la rédaction de cet article et la date de la dernière modification: 08.09.2017
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