BERNE – Dans une grande étude publiée en mars 2016 dans la prestigieuse revue médicale britannique The Lancet, une équipe de chercheurs a passé en revue de nombreuses études déjà publiées sur le sujet et ont conclu que le paracétamol n’était pas efficace au sens clinique du terme pour réduire la douleur ou augmenter les capacités physiques chez des patients souffrant d’arthrose du genou ou de la hanche. Bien que le paracétamol se soit montré légèrement plus efficace qu’un placebo, les chercheurs ont conclus que prendre seulement du paracétamol, peu importe le dosage, n’avait aucun impact chez des patients souffrant d’arthrose. Cette maladie est la forme la plus fréquente de rhumatisme, en cas d’arthrose le cartilage est partiellement ou totalement détruit.
Diclofénac efficace, mais risque d’effets secondaires
Les chercheurs ont pu aussi démontrer grâce à cette analyse d’études que la prise de 150mg par jour de diclofénac, un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS), s’avérait être le traitement à court terme le plus efficace contre les douleurs lors d’arthrose. Toutefois, les auteurs relèvent le risque à long terme d’effets secondaires avec les AINS comme le diclofénac. Le risque d’infarctus du myocarde est particulièrement élevé, comme l’a rappelé une étude danoise publiée également ces jours. Lire l’étude ici
L’étude danoise avait surtout montré que le diclofénac était dangereux chez des personnes souffrant de maladies cardiaques.
Pour revenir à l’étude sur le paracétamol, il s’agit du plus grand travail effectué à ce jour portant sur une analyse randomisée d’études.
Arthrose
Au niveau mondial, 9,6% des hommes et 18% des femmes âgés de plus de 60 ans souffrent d’arthrose. Cette maladie rhumatismale est la principale cause de douleur chez les personnes âgées. L’arthrose peut perturber l’activité physique, ce qui augmente le risque d’obésité, de maladies cardio-vasculaires, de diabète et d’autres maladies en général.
Le paracétamol et les AINS sont souvent le traitement de premier choix en cas de douleurs légères ou modérées chez des patients souffrant d’arthrose, mais à cause du risque cardiovasculaire (infarctus du myocarde) et gastro-intestinal (ulcères) accru lors d’un traitement à long terme à base d’AINS le paracétamol est souvent préféré.
Etude en détail
Le Dr Sven Trelle de l’Université de Berne en Suisse, ainsi que ses collègues, ont récolté des données provenant de 74 études randomisées publiées entre 1980 et 2015. Ces données comptaient un total de 58’556 patients souffrant d’arthrose. Cette étude (un réseau de méta-analyse pour être précis) a comparé les effets de 22 “médicaments différents” et de placebo sur l’intensité de la douleur et le niveau d’activité physique. Les 22 médicaments incluaient différentes doses de paracétamol et 7 AINS différents (rofecoxib, lumiracoxib, etoricoxib, diclofénac, celecoxib, naproxène et ibuprofène).
Mieux qu’un placebo, oui mais…
Cette analyse a montré que chacun des 22 différents traitements (différents dosage de paracétamol et AINS), peu importe la dose, améliorait les symptômes de la douleur comparé à un placebo. Bien que certains dosages de paracétamol ait montré un petit effet pour améliorer les fonctions physiques et diminuer la douleur, l’effet était seulement légèrement supérieur à un placebo, et n’a pas atteint la différence de l’effet clinique minimum (ndlr. un terme scientifique trop compliqué à expliquer ici qui permet de savoir si un traitement est cliniquement efficace). En comparaison, la dose quotidienne maximale de diclofénac de 150mg s’est montré être le traitement le plus efficace pour soulager la douleur et améliorer les capacités physiques lors d’arthrose. Le diclofénac s’est relevé être plus efficace que d’autres AINS très utilisés comme l’ibuprofène, le naproxène ou le celecoxib.
AINS par intermittence
Selon le Dr. Trelle: “Les AINS sont en général utilisés seulement sur une courte période de douleurs lors d’arthrose, car les effets secondaires sont sensés dépassés les bénéfices lors d’une utilisation à long terme. C’est pourquoi, le paracétamol est souvent prescrit pour prendre en charge la douleur au lieu des AINS. Néanmoins, nos résultats suggèrent que le paracétamol n’est efficace à aucun dosage lors de douleurs en cas d’arthrose, mais certains AINS sont efficaces et peuvent être utilisés de façon intermittente sans utiliser du paracétamol.”
Le Dr. Trelle poursuit: “Les AINS comptent parmi les médicaments les plus utilisés en cas d’arthrose. Il y a une gamme de différentes molécules à différents dosages que le médecin peut prescrire, mais souvent les patients changent de molécule, ou arrêtent de les prendre parce que le premier médicament qu’ils ont utilisé n’avait pas assez d’efficacité pour lutter contre la douleur. Nous espérons que notre étude pourra aider à mieux informer les médecins pour savoir comment mieux prendre en charge la douleur dans cette population de patients.”
Dans la majorité des études prises en compte, la durée du suivi des patients était de 3 mois ou moins, les auteurs reconnaissent que d’autres études incluant des études sur une plus longue période seraient nécessaires. Bien que le nombre total de personnes étudiées soit élevé, le nombre d’études cliniques évaluant chaque dose individuelle était encore bas.
Cette étude a été publiée le 17 mars 2016 dans la revue scientifique médicale britannique The Lancet.
Vision critique
Commentant l’étude du Lancet, le Prof. Nicholas Moore et ses collègues du Département de Pharmacologie de l’Université de Bordeaux en France, ont observé quelques limites à cette étude : “D’autres AINS très prescrits n’ont pas été pris en compte dans cette analyse d’études, probablement parce qu’il n’y avait pas d’études cliniques récentes sur ces médicaments ou s’il y’en avait elles étaient trop petites. Ces manquements sont malheureux, car ces médicaments pourraient être autant efficaces et beaucoup moins chers que les derniers médicaments mis sur le marché.” Le professeur français conclut :”le résultat le plus remarquable est que le paracétamol ne semble pas conférer un effet démontrable en cas d’arthrose, à aucun dosage. Les résultats ne sont pas totalement inattendus. Le paracétamol est disponible sur le marché depuis autant de temps que la plupart d’entre nous se rappellent. Son efficacité n’a jamais été véritablement établie et quantifiée pour des maladies chroniques, et ne semble pas aussi génial que beaucoup de personnes aimeraient croire. Sa sécurité est aussi remise en question, et pas seulement lors de surdosage.”
Il poursuit : “Beaucoup de patient pourraient souffrir de façon inutile à cause du risque perçu de la prise d’AINS et des bénéfices du paracétamol (qui pourraient ne pas être réels). Peut-être les chercheurs devraient réévaluer toutes ces perceptions et penser à l’utilisation d’autre analgésiques écartés avec le temps, comme la dipyrone.”
Paracétamol, rôle négligeable dans le chiffre d’affaires
Pour rappel, le paracétamol est tombé dans le domaine public depuis des années. Autrement dit, il existe de nombreux génériques qui souvent vendus bon marché. Ce médicament joue ainsi un rôle plutôt négligeable dans le chiffre d’affaires global de l’industrie pharmaceutique, qui se monte à plus de 800 milliards de dollars par année.
Conclusion de Creapharma
Ce qui est sûr avec cette nouvelle étude très critique envers le paracétamol ainsi que la publication récente d’un autre travail de recherche mettant en avant le risque pour la santé en cas d’utilisation sur une longue période du diclofénac, notamment chez les personnes souffrant de maladies cardiaques, est que les médicaments sûrs et efficaces contre l’arthrose semblent manquer.
Se tourner vers des thérapies non médicamenteuses comme des traitements physiques (physiothérapie, ostéopathie, ergothérapie), l’acupuncture, des méthodes pour perdure du poids (l’obésité et le surpoids sont des causes d’arthrose) ou encore la pratique régulière d’exercice comme la marche semble être une idée à creuser et favoriser. Lire davantage de bons conseils dans notre dossier sur l’arthrose
Le 23 mars 2016. Par Xavier Gruffat (pharmacien, MBA). Sources: communiqué de presse de l’étude, CBSNews. Crédits photos: Fotolia.com.