Le Prof. Hostettmann est une personnalité très importante dans le monde de la phytothérapie, il nous a accordé en avril 2013 un grand entretien pour parcourir sous forme de 10 questions une médecine qui intéresse toujours plus de monde, preuve en est le succès important de ses livres (lire en bas de l’interview pour plus d’informations sur ses livres).
1. Creapharma – M. le Prof. Hostettmann, vous êtes une grande référence dans le monde de la phytothérapie, en Suisse et dans le monde entier, avec de nombreuses réalisations et publications scientifiques à travers le monde, quels sont vos projets actuels ?
Prof. Hostettmann – Comme je suis à la retraite depuis bientôt 4 ans, je ne dispose plus de laboratoire et d’une équipe de chercheurs comme auparavant. De ce fait, je me consacre uniquement à l’enseignement et à la rédaction de livres. J’ai des enseignements à l’étranger, notamment en Chine, en Thaïlande et en Afrique du Sud. En Suisse, je donne régulièrement des cours de formation continue aux pharmaciens et aux médecins. Mais je consacre beaucoup de temps à donner des conférences « grand public » et des cours pour les aînés dans le cadre d’universités du 3ème âge. Des livres sont en cours de rédaction, dont un immense ouvrage multi-auteurs en anglais sur les techniques d’analyse de plantes. J’organise aussi des congrès à l’étranger – le prochain au Panama- pour le compte d’une organisation internationale (IOCD ). Enfin, je suis en charge du Jardin de plantes médicinales de Leysin dans le cadre de la Fondation Gentiana que je préside. Actuellement, nous sommes en train de créer un nouveau secteur sur les plante anti-âge !
2. Creapharma est un site qui suit beaucoup les études de phytothérapie publiées dans le monde, une récente étude a montré par exemple que le cranberry (canneberge) ne serait pas plus efficace qu’un jus quelconque pour prévenir la cystite, une autre étude a été aussi très critique sur l’effet du ginkgo. Si on veut être scientifiquement parfait ou au moins y tendre, doit-on souvent “faire le deuil” du soi-disant effet d’une plante ?
La phytothérapie a aussi des ennemis dans le monde médical et scientifique car il n’est parfois pas aisé d’en expliquer le mode d’action. Pour un médicament (de synthèse) qui contient un seul principe actif, il est relativement facile de comprendre le mode d’action : effet d’un principe actif sur un récepteur, par ex., selon le modèle clé-serrure. Un extrait de plante, utilisé en phytothérapie, contient des centaines de substances différentes. Et parfois, il y a des mélanges de nombreuses plantes (médecine ayurvédique, chinoise et tibétaine) ! Il faut se fier dès lors aux études cliniques. Pour la canneberge et le ginkgo, il y a effectivement des publications avec des résultats contradictoires, mais les articles positifs restent cependant plus nombreux. Pour la canneberge, il y aussi des témoignages positifs de patientes et de médecins. Le ginkgo a été beaucoup plus étudié que la canneberge et il y a vraiment des publications qui montrent son efficacité, d’où l’enregistrement comme médicament par Swissmedic (ndlr. organisme suisse de régulation des médicaments, l’équivalent de la FDA américaine), ce qui n’est pas le cas de la canneberge. Malgré les critiques négatives de certains à l’égard de ces plantes, je continuerai à les recommander !
3. Si on reste dans ce domaine, le ginkgo est un très grand marché pour certains industriels qui commercialisent cette plante, en particulier pour la prévention de démences (Alzheimer, etc). Une étude très critique pourrait donc diminuer massivement leurs ventes, cela ne doit pas toujours être facile de publier une étude critique, souffre-t-on de pressions ? Est-ce que certains industriels qui commercialisent des médicaments de phytothérapie n’usent-il pas parfois un peu les mêmes méthodes que l’industrie pharmaceutique, tant critiquée, comme “arranger” un peu les études pour satisfaire leur propre intérêt ?
Je ne pense pas qu’il y ait des pressions sur les chercheurs qui publient des articles négatifs sur le ginkgo, dont le chiffre d’affaire à l’échelle mondiale dépasse 4 milliards de USD (dollars américains). Certaines de ces critiques rendent service à des produits de synthèse concurrents ! Il est vrai que des scientifiques embellissent et exagèrent parfois la portée de leurs résultats : les universitaires pour obtenir plus de fonds de recherche et les industriels pour mieux vendre !
4. Si on parle de recherche, il existe probablement des milliers de plantes médicinales, peut-être même des dizaines de milliers dans le monde, sachant qu’il existe au maximum quelques centaines d’instituts de phytothérapie de qualité dans le monde mais souvent avec des ressources limitées, il faudra énormément de temps pour analyser toutes ces plantes, surtout pour les études cliniques ?
Le règne végétal reste un réservoir encore peu exploité de nouveaux médicaments à découvrir. Il faudrait évidemment augmenter les crédits de recherche dans le domaine de la phytochimie et de la phytothérapie. Mais, les chercheurs doivent faire une bonne sélection parmi les plantes que la Nature nous offre, notamment en se basant sur les données de la médecine traditionnelle.
5. On le voit avec Mme Obama qui essaye de mettre en avant la consommation de fruits et légumes aux Etats-Unis, la nutrition devient très importante et toujours plus à la mode. Sans compter Nestlé qui investit énormément dans l’alimentation fonctionnelle. Concrètement, si on prend une plante comme la betterave, c’est à la fois un nutriment (aliment) et une plante médicinale. Comment voyez-vous le lien entre nutrition et phytothérapie ? Vous êtes chimiste de formation, peut-être pour vous de toute façon tout est chimie ? Est-ce que nutrition et phytothérapie vont devoir fusionner ?
La nutrition, et notamment une alimentation saine et équilibrée à base de beaucoup de fruits et de légumes, est en premier lieu un outil pour la prévention des maladies et moins pour la guérison de ces dernières, sauf de rares cas. De toute façon, tout est chimie, et dans la nutrition et dans la phytothérapie ! Il n’y a pas de raison de fusionner les deux. Encore une chose : on parle tellement des antioxydants que l’on devrait consommer en très grandes quantités pour éviter le cancer ou ralentir le vieillissement. Cependant des travaux récents semblent indiquer qu’un excès d’antioxydants pourrait induire un effet pro-oxydant et de ce fait accélérer le vieillissement et le développement des cancers. Dans le magazine américain New Scientist du 19 mars 2013, James Watson qui a reçu le prix Nobel de Médecine, pour avoir découvert la structure de l’ADN, pose la question : Do antioxidant promote cancer ? De quoi réfléchir … !
6. Vous avez des fonctions importantes ou en tout cas très honorifiques en Chine, on sait que dans ce pays et dans d’autres également la médecine traditionnelle chinoise joue un rôle très important. Une partie de cette médecine repose sur les plantes, selon vous s’agit-il d’une médecine scientifiquement prouvée ou plutôt d’une médecine populaire (sans études de qualité) ?
La médecine traditionnelle chinoise nous a déjà beaucoup apporté et elle le fera encore. En Chine, il y a beaucoup d’instituts de recherche qui étudient les plantes de la Pharmacopée traditionnelle pour en trouver les substances actives et expliquer le mode d’action. Cela conduira à une phytothérapie plus scientifique et plus rationnelle.
7. Quand on discute avec la population suisse ofrançaise on se rend compte parfois que phytothérapie et l’homéopathie sont deux médecines parallèles très proches. Il me semble toutefois qu’il y a de grandes différences, notamment chimiques et presque philosophiques, est-ce que vous confirmez ?
La phytothérapie et l’homéopathie font partie des médecines complémentaires, mais sont très différentes l’une de l’autre.
8. Des pharmaciens nous lisent, dans les facultés de pharmacie suisses ou françaises la phytothérapie est très développée et l’enseignement est de grande qualité, d’ailleurs c’est souvent dans cette faculté qu’on trouve la plupart des instituts de recherche en phytothérapie (en tout cas en Europe). Toutefois le grand public ignore parfois la grande connaissance et la passion des pharmaciens pour ce domaine (y compris les huiles essentielles), comment pourrions-nous davantage faire connaître ces compétences ? Est-ce que comme mentionné plus haut le pharmacien ne devrait-il pas plus étudier la nutrition, déjà à l’université ?
Le pharmacien reste le spécialiste de la phytothérapie de par sa formation universitaire. Il faudrait aussi introduire des cours sur la phytothérapie dans les Facultés de médecine pour les étudiants de cette discipline. Ces cours sont malheureusement encore rares ! Il faudrait effectivement encore améliorer l’image du pharmacien qui reste pour certaines personnes un simple « vendeur de pilules ». Mais, les sociétés professionnelles font des grands efforts pour améliorer l’image de cet important professionnel de la santé. Il y a déjà depuis peu des cours de nutrition dans les facultés de pharmacie
9. Une de vos activités est la publication de livres grand public, vous avez d’ailleurs vendus plusieurs milliers de livres ces dernières années. Comme diraient les Américains avec de tels livres le but était-il d’ “évangéliser” la société à la phytothérapie et aux médecines par les plantes ? Car finalement un grand professeur comme vous n’avez probablement pas d’intérêts financiers à publier de tels livres, la motivation était j’imagine plus une vraie passion à communiquer ? Connaissez-vous votre lecteur type ?
Ecrire des livres pour le grand public qui doivent rester relativement bon marché n’est pas une activité lucrative importante : c’est une passion de communiquer ce que l’on a appris en étant professeur d’université pendant près de 30 ans.. Le but n’est pas « d’évangéliser », mais de montrer que les plantes peuvent soulager bien des maux avec relativement peu d’effets secondaires. Mais, il faut aussi montrer que les plantes peuvent aussi être dangereuses (effets secondaires, interactions avec d’autre médicaments). Des mises en garde contre l’automédication sont aussi indiquées dans de nombreux cas. Parmi les lecteurs, il y a beaucoup de femmes, des personnes âgées, des gens stressés et aussi des jeune qui cherchent des solutions naturelles pour rester en bonne santé.
10. Votre dernier livre parle des plantes anti-âge. Donnez-nous envie d’acheter votre livre ! Peut-on par exemple faire soi-même certaines crèmes ou est-ce justement le pharmacien qui devra les préparer ?
Ce livre aurait aussi pu être intitulé « Des plantes pour rester jeune plus longtemps » ou encore « Des plantes pour mieux vieillir ». Il traite surtout de plantes pour la prévention des maladies cardiovasculaires, de la maladie d’Alzheimer et de certains cancers. Mais, aussi des plantes pour lutter contre le stress et de celles pour garder une vie sexuelle active. Je n’aime pas donner des recettes pour faire des crèmes soi-même. Cela reste le rôle du pharmacien d’officine.
Son nouveau livre “Les plantes ANTI-ÂGE” sera en vente en Suisse dès début mai et en France dès mi-mai, en vente dans toutes les librairies ou sur Amazon.fr.
Sur le site de son éditeur (Editions Favre), vous trouverez ce livre et d’autres ouvrages écrits par le Prof. Hostettmann, il a aussi signé l’éditorial du livre “220 remèdes de grand-mère”, par Xavier Gruffat, Editions Favre. En vente sur Amazon.fr, cliquez-ici pour plus d’informations sur le livre
Interview réalisé par e-mail pour Pharmapro.ch et Creapharma.ch par Xavier Gruffat (pharmacien), en avril 2013