ZURICH – Dr Christina Ruob (photo) est une spécialiste des poux. Pharmacienne de profession exerçant dans la région zurichoise (Suisse), elle donne des conférences et cours de formation continue sur la pédiculose dans plusieurs régions de Suisse. Creapharma a eu la chance de réaliser une grande interview avec elle en été 2016. Ces questions et réponses devraient vous aider à faire face aux poux à la rentrée et pendant toute l’année scolaire. Vous découvrirez notamment à la fin de l’interview s’il faut ou non envoyer son enfant à l’école s’il a des poux, la grande question que se pose tous les parents. Vous verrez aussi le rôle surprenant joué par les selfies. Pour simplifier la compréhension, l’interview réalisée en anglais et allemand et traduite en français a été légèrement éditée.
1. Creapharma.ch – Aux Etats-Unis, les CDC (institution américaine de santé de référence) estiment que 6 à 12 millions de jeunes Américains (âgés entre 3 et 11 ans) souffrent de poux chaque année. Si on estime qu’un Américain vit jusqu’à environ 80 ans, cela représente environ 15 à 30% des enfants âgés entre 3 et 11 ans infestés par les poux. Est-ce qu’on dispose de chiffres similaires pour la Suisse ou certains grands pays d’Europe comme la France, l’Allemagne ou le Royaume-Uni ?
Dr Christina Ruob – Je ne connais pas de chiffres actuels. Ce que je sais est que lorsque les parents connaissent bien la problématique des poux, le taux de personnes infestées chute. La limite peut être à environ 2% comme atteint à Tours en France (Ndlr. en 2009 à Tours à peine plus d’un enfant sur cent était atteint de pédiculose).
A Zurich, dans la plus grande ville suisse, environ 7% des enfants ont présenté des poux entre 2011 et 2013 sur un total d’environ 13’000 cuirs chevelus ou têtes examinés chaque année.
Ce qu’il faut savoir est qu’aucun produit contre les poux, même s’il est très efficace, ne sera capable d’éliminer les poux de notre planète.
Pour éliminer les poux, il est important de commencer au plus vite la thérapie avec des produits efficaces, appliquer de façon correcte et sur une période suffisante le produit, passer le peigne régulièrement et adopter une bonne communication entre tous les acteurs (parents, enfants, écoles, club de sport, enfants du voisinage, etc.).
2. Il existe 2 théories expliquant pourquoi les filles ont plus souvent des poux que les garçons, la première estime que comme les filles ont en général de plus longs cheveux il y a en conséquence une augmentation du risque de transmission et la seconde hypothèse suggère que les filles jouent en étant plus proches que les garçons (autrement dit, l’espace entre les filles est plus mince que par exemple des garçons qui jouent au football). Pouvez-vous confirmer ?
Les 2 hypothèses sont correctes en tout cas jusqu’à l’âge de 12 ans, même si avec la mode actuelle des selfies (photos prises avec un téléphone portable notamment) cet âge limite a été augmenté au niveau international à 14 ans. Cela signifie qu’après 14 ans il n’y a plus de différences significatives entre filles et garçons.
3. On estime que seulement environ 20% des lentes ou oeufs donnent naissance ou deviennent des poux, c’est une raison pour laquelle de nombreux spécialistes du sujet et notamment en Suisse recommandent actuellement de ne plus traiter en cas de lentes (traiter seulement en cas de poux). Mais si néanmoins 20% des lentes vont donner naissance à des poux, est-ce que cela ne ferait pas sens de traiter aussi en cas de lentes ?
Selon les recommandations actuelles d’usage (Guidelines en anglais), il faut effectivement commencer un traitement seulement en présence de poux. Si vous constatez des lentes ou œufs, il faudra rechercher 2 fois par semaine pendant 14 jours des éventuels poux. Si le cuir chevelu ne contient plus de poux ni de lentes/œufs, c’est la preuve que le traitement a bien fonctionné.
Si on veut être précis en utilisant des définitions internationales, on peut distinguer les lentes des œufs. Une lente ne contient pas de poux vivant (coque vide) et les œufs contiennent des bébés poux. Ces bébés se développent pour devenir des poux dans 60% des cas et dans 40% des cas on constate que le bébé est mort dans l’œuf.
4. On observe des différences importantes d’une région (ex. cantons en Suisse) ou pays dans le traitement des poux, pourquoi n’avons-nous pas davantage d’unité dans les recommandations de traitement ?
En fait, il existe des recommandations (guidelines en anglais) internationales en cas de poux de cheveux (par ex. Mumcuoglu KY, Barker SC, Burgess IE, et al. International guidelines for effective control of head louse infestations. Journal of drugs in dermatology. 2007;6(4):409-14 ou Barker SC., Burgess I, Meinking TL., Mumucuoglu KY International guidelines for clinical trials with pediculocides. International Journal of Dermatology 2012, 51, 853–858).
Comme il ne s’agit pas d’une maladie à déclaration obligatoire envers les autorités de santé, en Suisse aucune recommandation n’est vraiment appliquée. Il existe aussi des différences de traitement contre les poux entre communes (Ndlr. il existe en Suisse des milliers de communes). Cela signifie que chaque commune peut décider du traitement comme elle le préfère. Depuis 2011 j’essaie avec mon site internet Lausinfo (Infos poux) de diffuser une certaine unité dans les recommandations de traitement contre les poux en Suisse.
5. Le traitement physique (ou mécanique) semble actuellement être la première recommandation de traitement dans plusieurs pays comme la Suisse, j’imagine que vous partagez cette opinion comme vous le suggérez dans des interviews que vous avez réalisées pour d’autres médias. Est-ce que vous diriez que les traitements dits chimiques devraient désormais être évités ?
Oui exactement, les traitements chimiques doivent être un 2ème choix à cause d’une multiplication des cas de résistance à ces produits. Nous recommandons un traitement contre les poux dit à action physique ou mécanique (Ndlr. ex. diméticone) en association avec un peigne anti-poux.
Remarque : vous trouverez plus d’informations sur les traitements contre les poux sur notre dossier complet (à lire sous Traitements)
6. Est-ce vous pensez que le diméticone est le meilleur traitement contre les poux en 2016 ?
Il existe des études contrôlées (randomisées, aveugles) qui montrent une bonne efficacité des traitements physiques comme le diméticone.
Remarque : en bas de l’article vous trouverez des références à ces études portant sur le diméticone si vous aimeriez en savoir plus.
7. Sur Creapharma.ch nous avons une audience globale, cela signifie aussi que certains lecteurs habitent dans des pays à faibles revenus comme certaines régions d’Afrique, auriez-vous un remède naturel ou de grand-mère bon marché à suggérer lors de poux ?
Une méthode efficace bon marché (mais qui prend du temps et assez peu efficace) est le passage du peigne spécial contre les poux.
Je ne conseillerais pas des substances naturelles comme les huiles essentielles car il y a dans ce cas aussi des cas de résistance.
8. Toujours à propos des plantes médicinales, j’ai appris pendant mes études de pharmacie que le saule (Salix alba L.) pouvait aider en cas de poux, est-ce on dispose d’études montrant un éventuel effet de cette plante ? Ou peut-être connaissez-vous d’autres plantes médicinales ?
Il manque des études cliniques contrôlées pour y voir plus clair. On suppose que les monoterpènes qu’on retrouve dans les huiles essentielles pourraient agir autant sur les poux que les œufs en ciblant notamment des processus biochimiques (ex. inhibition de l’acétycholinesterase).
Récemment des nouvelles molécules d’origine naturelle (ex. provenant de bactéries) ont montré une certaine efficacité comme le spinosade ou encore l’ivermectine (structure proche d’un antibiotique de type macrolide).
9. Finalement, si un enfant a des poux, doit-il aller à l’école ou rester à la maison ? On sait qu’il y a une certaine controverse sur ce sujet notamment aux Etats-Unis.
Un enfant doit continuer d’aller à l’école (Ndlr. en tout cas juste après avoir reçu le traitement). Néanmoins, le traitement contre les poux doit être efficace. Dès que l’enfant est traité (application correcte, produit efficace) la transmission des poux vers d’autres personnes n’est plus possible. Un enfant peut en conséquence après un traitement retourner immédiatement à l’école. Laisser un enfant à la maison est une discrimination (sans parler des coûts pour l’économie, au travail, en cas de transmission aux parents).
Première publication le 26 août 2016 – Edité le 22 juillet 2018. Interview réalisée entre juillet et août 2016 par Xavier Gruffat (Dipl. Pharmacien EPF Zurich et Dipl. MBA). Crédits photos: Fotolia.com, photo du poux en bas de Dr. Christina Ruob.
Découvrez aussi l’entreprise de Dr Christina Ruob (Medinform.ch) ainsi que son site sur les poux en français et allemand (lausinfo.ch)
Références études diméticone :
– Studie 1: Ian F Burgess, Christine M Brown, Peter N Lee, Treatment of head louse infestation with 4% dimeticone lotion: randomised controlled equivalence trial, BMJ, doi:10.1136/bmj.38497.506481.8F (published 10 June 2005)
– Studie 2: Ian F. Burgess, Peter N. Lee, Geraldine Matlock, Randomised, Controlled, Assessor Blind Trial Comparing 4% Dimeticone Lotion with 0.5% Malathion Liquid for Head Louse Infestation, PLoS ONE,November 2007,Issue 11,e1127
– Studie 3 : O. Kurt, I.C. Balcioglu, I.F. Burgess et al; Treatment of head louse with dimeticone 4% lotion: comparison of two formulations in a randomise controlled trial in rural Turkey BMC Public Health 2009,9:441
Pour en savoir plus : découvrez notre dossier complet mis à jour sur les poux