Zoom sur le médicament le plus cher au monde, à plus de 2 millions de dollars

BÂLE Le médicament le plus cher au monde actuellement sur le marché est le Zolgensma® (à base d’onasemnogene abeparvovec) du laboratoire pharmaceutique suisse Novartis. Ce médicament de thérapie génique en injection unique qui ressemble sur certains aspects aux vaccins dits à vecteur viral contre la Covid-19 coûte, au prix catalogue, la somme astronomique de 2,1 millions de dollars américains (USD). Avec une petite centaine de nouveau-nés touchés chaque année en France, le coût pour la Sécurité sociale est donc probablement annuellement de plus de 150 millions d’euros (des négociations parfois secrètes peuvent avoir lieu entre l’état et un laboratoire pharmaceutique). Cette thérapie génique est indiquée chez les nouveau-nés (nourrissons) et petits enfants en général de moins de 2 ans contre l’amyotrophie spinale (SMA), une maladie d’origine génétique mortelle sans traitement dans la grande majorité des cas. Le médicament a été mis sur le marché en 2019 aux Etats-Unis puis les années qui suivent dans certains pays d’Europe, au Japon et en Amérique latine (ex. Brésil), mais il continue à faire parler de lui, à cause de son prix mais aussi de l’impact bénéfique immense sur les enfants atteints de SMA. Mais on verra que comme pour les vaccins, de l’argent public a été utilisé pour la mise au point de ce médicament miraculeux et qu’une loterie mondiale ne fait pas l’unanimité. Creapharma.ch fait le point sur ce médicament curatif hors du commun dans tous les sens du terme.

Image d’illustration pour mettre en avant le prix élevé, le Zolgensma® est une injection et n’a donc rien à voir avec les pilules et comprimés illustrés ci-dessus (crédit photo : Adobe Stock)

Mieux comprendre l’amyotrophie spinale (SMA)

L’amyotrophie musculaire spinale, en anglais spinal muscular atrophy (d’où l’acronyme SMA), est une maladie génétique rare très grave qui se manifeste pendant les premiers mois de vie. Elle est très souvent mortelle chez l’enfant. Les patients finissent par perdre la capacité de marcher, de manger ou même de respirer. La SMA de type 1 mène dans plus de 90% des cas au décès avant l’âge de deux ans ou impose une ventilation mécanique permanente. Dans le monde, des milliers d’enfants naissent chaque année avec cette maladie. Pour qu’un enfant soit atteint de la maladie, il faut que les deux parents possèdent le gène défectueux (SMN1) à l’origine de la SMA, localisé sur le chromosome 5. Ce gène dit récessif, est porté par environ 2% de la population générale, par conséquent la probabilité de le transmettre à leurs enfants est d’environ 0.4 pour mille. Mais comme la probabilité qu’un enfant hérite des 2 gènes défectueux récessifs est de 25% (1 enfant sur 4), on arrive à une maladie touchant environ 1 bébé sur 10’000 à 11’000 (selon les sources). Le gène SMN1 produit chez les individus sains une protéine appelée SMN (survival of motor neuron, en français survie du neurone moteur). La protéine SMN joue un rôle fondamental dans différentes activités musculaires, y compris la respiration.

Une centaine d’enfants en France

Aux Etats-Unis 400 à 500 nouveau-nés naissent chaque année avec cette maladie, environ 300 ont la forme la plus grave de la maladie qui tue à l’âge de 2 ans. Au Brésil, environ 260 nouveau-nés naissent avec la SMA1. Par règle de trois, on peut estimer à une centaine d’enfants le nombre de nouveau-nés atteints de la maladie en France (AFMTéléthon estime le nombre compris entre 80 et 100) et une douzaine en Suisse.

Médicament hors du commun : Zolgensma®

Le laboratoire pharmaceutique suisse Novartis a obtenu l’autorisation le 24 mai 2019 de la part de la FDA américaine pour la mise sur le marché aux Etats-Unis du Zolgensma®. Depuis il a été autorisé dans plusieurs pays, comme en France ou en Suisse (seulement à la mi-2021 et de façon temporaire2). Il s’agit d’une thérapie génique en traitement ou prise unique qui introduit de l’ADN dans l’organisme du patient. Le Zolgensma® repose sur un vecteur viral (appelé AAV9), dans la même logique que certains vaccins utilisés contre la Covid-19 (ceux dits à vecteur viral comme celui d’AstraZeneca). L’ADN viral a été enlevé et le gène non défectueux SMN1 est introduit à l’intérieur du virus. Le Zolgensma® qui est injecté dans la circulation sanguine du petit patient contient plus de 300 trillons d’unités (virus) avec le gène SMN1. Certains de ces gènes sains arrivent au niveau des cellules de la moelle épinière. Ils sont incorporés par les neurones moteurs. Comme ces cellules ne se reproduisent pas, elles sont capables de fabriquer correctement la protéine SMA. Le virus utilisé est éliminé par l’organisme en quelques jours, comme lors d’un vaccin anti-Covid-19. Cela dit, un effet secondaire très fréquent est l’augmentation du taux d’enzyme hépatique (touchant jusqu’à 90% des patients utilisant ce médicament3, indiquant de possibles troubles hépatiques. Cet effet secondaire est la conséquence de l’administration de trillions de virus dans l’organisme, il s’en suit une réaction immunitaire, certaines cellules de la défense immunitaire attaquent le foie. En général il est possible de contrer cet effet en administrant un anti-inflammatoire.

Prix très élevé

En 2019, une dose du médicament coûtait la somme de 2,125 millions de dollars, le prix le plus élevé au monde d’un médicament ou thérapie génique unique selon un article de NBCNews. Dans un communiqué de presse, le CEO de Novartis Vas Narasimhan affirmait en 2019 : “Zolgensma pourrait créer toute une vie de possibilités pour les enfants et les familles touchés par cette maladie dévastatrice”. Selon Novartis, l’application unique sauve la vie des patients. Le Zolgensma® fonctionne dans 97% des cas.

Vies sauvées

Le média américain NBCNews citait en 2019 un enfant, Matt, qui a reçu le médicament dans sa phase de recherche (avant la mise sur le marché en 2019 aux Etats-Unis). Ce médicament s’est avéré tout simplement miraculeux, a expliqué sa maman Madame Almeida. Matt a reçu la thérapie expérimentale à l’âge de 27 jours et près de quatre ans plus tard, le petit garçon est en bonne santé et fort, sans signe de la maladie. Au Brésil, un long article du magazine à très grand tirage (peut-être actuellement le magazine le plus lu du pays) Superinteressante mentionnait plusieurs enfants atteints de la maladie qui voient déjà leur courte vie fortement s’améliorer, selon leurs parents.

A l’origine, pas de Novartis, argent public

Le Zolgensma® n’a pas été développé par les chercheurs du laboratoire suisse globalisé Novartis mais par l’américain AveXis. Ce laboratoire a été racheté en 2018 par Novartis pour 8,7 milliards de dollars. Même s’il n’y a bien sûr rien d’illégal, AveXis s’est développé en marge de recherches de l’Université de Pennsylvanie qui a bénéficié d’argent public provenant des prestigieux et très puissants instituts National Institutes of Health (NIH). Plus de 35 millions de dollars ont été amenés par le NIH pour des recherches sur les adénovirus et notamment le vecteur AAV9, à la base du Zolgensma®4. On peut dire que comme souvent ces dernières années, Novartis agit un peu comme une banque en rachetant de nombreuses start-up, très souvent américaines, puis aide ensuite à la mise sur le marché (études cliniques, notamment de phase 3) et la commercialisation du médicament en question, ici le Zolgensma®. En 2022, le chiffre d’affaires annuel du Zolgensma® pourrait atteindre les 2 milliards de dollars, selon l’entreprise spécialisée Refinitif5. AveXis, basé à Chicago (Etats-Unis), se nomme depuis 2020 Novartis Gene Therapy6. Cela représente un traitement pour environ 1000 enfants par année.

Remboursement conditionné, procès au Brésil

En 2019, lors de la sortie du médicament sur le marché, on apprenait qu’aux Etats-Unis, les assureurs devraient payer ce traitement unique en 5 fois avec un montant égal sur une période de 5 ans, comme le relève le Wall Street Journal. Si le traitement s’avère inefficace, Novartis devrait rembourser en tout cas en partie les assureurs ou payeurs. Au Brésil, le Zolgensma® a été enregistré par l’Anvisa (la FDA ou EMA brésilienne) en août 2020, pour les enfants de moins de 2 ans. Depuis la mise sur le marché, certains parents d’enfants touchés par la maladie essayent d’obliger le gouvernement brésilien (via le SUS, la Sécurité nationale brésilienne) à payer l’entier de ce médicament, vendu entre 9 et 12 millions de Reais. Comme le SUS a parfois mis du temps à répondre, certains parents ont attaqué en justice le gouvernement. Plusieurs parents ont eu gain de cause. Selon une personne interrogée par le magazine brésilien Superinteressante, jusqu’à novembre 2021, environ 9 enfants ont pu recevoir le Zolgensma® au Brésil. En Suisse, le remboursement du Zolgensma® sera effectué par l’AI (assurance invalidité) et non pas par les caisses-maladie (assurances privées mais obligatoires en Suisse). Cela s’explique par le fait que la SMA est considérée comme une infirmité congénitale et non comme une maladie, selon le site suisse Bilan.ch. Mi-2021 Novartis refusait à spéculer sur le montant du tarif officiel en Suisse pour le Zolgensma®. En France, début 2021 on apprenait que la HAS avait décidé de recommander le remboursement du Zolgensma® pour les personnes atteintes de SMA de type I et II ou pré-symptomatiques ayant jusqu’à 3 copies du gène SMN2.

Loterie

Dans les pays où le médicament n’est pas enregistré, Novartis à travers une loterie offre 100 traitements (Zolgensma®) par année. Pour participer à la loterie, il faut habiter dans un pays où le médicament n’est pas enregistré, le bébé qui va recevoir le traitement doit avoir moins de 2 ans et doit être diagnostiqué par la SMA. Plus d’informations (en anglais) ici sur le site de Novartis. Selon les recherches de Creapharma, un e-mail est disponible ici (page en anglais) pour participer à la loterie et avoir plus d’informations à ce sujet, attention seulement un médecin traitant peut envoyer l’e-mail). Certains journalistes critiquent cette loterie1.

Autres médicaments, mais moins efficaces et moins pratique

Il existe d’autres médicaments pour lutter contre la SMA, notamment le Spinraza®. Un médicament qui modifie le gène SMN2 (pas 1). En effet, chez toutes les personnes atteintes de SMA et chez 95% de la population générale, il existe en plus du gène SMN1 un autre gène, le gène SMN2, dont la séquence est quasiment identique à celle du gène SMN1. Cependant, le gène SNM2 seul ne suffit pas à produire suffisamment de protéine SMN7. Le Spinraza® présente des inconvénients, le premier est qu’il doit être administré pendant toute la vie à intervalle régulier (après les premières doses chaque 4 mois), alors que le Zolgensma® est pris une seule fois. Un autre problème est que le Spinraza® doit être injecté dans la moelle épinière. Puis le plus important, le Spinraza® ne réduit pas complètement l’avancée de la maladie, à la différence du Zolgensma®. Le prix annuel du Spinraza® est d’environ 200’000 dollars par an, donc après 12 ans de traitement, le Zolgensma® devient de facto moins cher. C’est un argument défendu par Novartis pour arriver à un prix de 2,2 millions de dollars pour son traitement miracle (pas besoin de mettre des guillemets). Ce dossier montre que l’industrie pharmaceutique devrait continuer à avoir une relation d’amour-haine avec la population générale du monde entier.

Pour aller plus loin :
Notice d’emballage pour patient en Suisse du Zolgensma®
Dossier du Téléthon français sur l’amyotrophie spinale proximale liée au gène SMN1 (ou SMA) 
Loterie de Novartis (le lien marchait le 23 novembre 2021)

Le 23 novembre 2021. Par Xavier Gruffat (pharmacien, dipl. MBA). Avec des informations de NBCNews, Keystone-ATS, NZZ, The Wall Street Journal, magazine Superinteressante (Brésil, édition de novembre 2021), Bilan.ch. Relecture (Seheno Harinjato, rédactrice chez Creapharma.ch)

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Références scientifiques et bibliographie :

  1. Superinteressante, édition de novembre 2021
  2. Novartis: Swissmedic autorise temporairement le Zolgensma, Article de Bilan.ch, 29.06.2021, l’article explique qu’en Suisse l’autorisation de commercialisation du traitement curatif unique le plus onéreux de l’histoire de l’industrie pharmaceutique court sur une période de deux ans et pourra le cas échéant devenir permanente.
  3. Hepatotoxicity following administration of onasemnogene abeparvovec (AVXS-101) for the treatment of spinal muscular atrophy, 10 novembre 2021, DOI : j.jhep.2020.11.001
  4. UPenn, Nationwide Children’s Hospital refuse to disclose which patents they licensed to Novartis for Zolgensma, 19 juin 2019, accédé par Creapharma.ch le 23 novembre 2021
  5. Magazine brésilien Superinteresssante, édition de novembre 2021
  6. AveXis renamed Novartis Gene Therapies, signifying the growing importance of gene therapy to Novartis corporate strategy, 2 septembre 2021
  7. Article de AFMTéléthon, publié le 04.02.2021, accédé par Creapharma.ch le 23 novembre 2021
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Informations sur la rédaction de cet article et la date de la dernière modification: 12.09.2022
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