LONDRES – Une vaste étude anglaise de l’University College London remet en cause un dogme scientifique présent en médecine depuis des dizaines d’années. En effet, une étude publiée en juillet 2022 montre qu’il n’y a pas assez de données pour confirmer une association directe entre un bas niveau de sérotonine dans le cerveau et le développement de la dépression (nerveuse). En théorie, cette étude vient remettre en question l’efficacité de beaucoup d’antidépresseurs qui agissent sur le taux de sérotonine.
Sérotonine
La sérotonine est un neurotransmetteur qui agit dans plusieurs régions du corps humain, comme au niveau de la sexualité ou de l’humeur. La sérotonine porte parfois le nom d’ « hormone du bonheur ». Une classe d’antidépresseurs très utilisée, les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS, en anglais SSRI), agissent justement en théorie en augmentant la concentration de sérotonine dans le cerveau. La fluoxétine (Fluctine® et génériques, Prozac® aux Etats-Unis) et le citalopram sont deux molécules souvent prescrites appartenant aux ISRS.
Etude en détail
Cette étude anglaise, qui est en fait une révision systématique d’autres études (méta-analyse, en anglais umbrella review), suggère qu’il n’est pas possible de faire un lien clair entre une faible concentration de sérotonine dans le cerveau et la dépression. L’étude a été publiée le 20 juillet 2022 dans le journal scientifique Molecular Psychiatry (DOI : 10.1038/s41380-022-01661-0). Pour arriver à ces conclusions, les chercheurs ont passé en revue 17 études publiées à ce sujet. Les études incluses dans l’examen ont impliqué des dizaines de milliers de participants.
Dogme qui vacille
Un point intéressant de cette revue d’étude est le fait que des patients dépressifs n’avaient pas toujours une basse concentration en sérotonine. Les recherches qui ont comparé les niveaux de sérotonine et de ses produits de décomposition dans le sang ou les fluides cérébraux n’ont pas trouvé de différence entre les personnes diagnostiquées comme souffrant de dépression et les participants témoins sains (comparaison). D’un autre côté, diminuer la concentration de sérotonine chez des patients sains ne menait pas à de la dépression.
Analyse
Pour le professeur et psychiatre Rogério Panizzutti, de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ) au Brésil, qui n’a pas participé à l’étude : “Penser que la dépression est simplement liée à une chute de la concentration en sérotonine est plutôt simpliste”1. Dans le même sens, un nombre croissant de scientifiques et d’organismes professionnels reconnaissent que le cadre du déséquilibre chimique est une simplification excessive selon un communiqué de presse en anglais de l’étude. Le Prof. Panizzutti relève que certains antidépresseurs agissent sur d’autres neurotransmetteurs que la sérotonine comme la noradrénaline ou la dopamine. Les auteurs de l’étude relèvent qu’il est important de mieux comprendre le mécanisme d’action des ISRS.
Analogie avec Alzheimer
Les auteurs de l’étude ne le précisent pas mais de plus en plus de scientifiques sérieux remettent en doute le dogme ou l’hypothèse que la maladie d’Alzheimer serait provoquée par l’accumulation de plaques de protéines bêta-amyloïde dans le cerveau. Une hypothèse toujours plus crédible est que ces plaques, clairement observées après des biopsies sur le cerveau de cadavres de patients morts d’Alzheimer, semblent davantage une conséquence (by-product) que la vraie cause de la maladie. Et si la sérotonine était également presque exclusivement une conséquence de la dépression et non pas la cause ? Peut-être ce que semble indiquer cette étude anglaise.
Recommandations
Mais les auteurs précisent que cette vaste étude ne signifie pas que les antidépresseurs comme les ISRS ne fonctionnent pas au quotidien (usage clinique) mais que le mécanisme d’action de ces médicaments très prescrits reste mal compris. Bien que l’étude n’ait pas examiné l’efficacité des antidépresseurs, les auteurs encouragent la poursuite des recherches et des conseils sur les traitements qui pourraient plutôt se concentrer sur la gestion des événements stressants ou traumatisants dans la vie des gens, comme la psychothérapie, parallèlement à d’autres pratiques comme l’exercice ou la pleine conscience, ou en s’attaquant aux facteurs sous-jacents comme la pauvreté, le stress et la solitude. Les auteurs relèvent que personne ne doit arrêter un traitement à base d’antidépresseurs sans orientation médicale.
Mis à jour le 23 juillet 2022. Par Xavier Gruffat. Relecture (Seheno Harinjato, rédactrice chez Creapharma.ch). Référence étude : Molecular Psychiatry (DOI : 10.1038/s41380-022-01661-0). Sources : communiqué de presse en anglais de l’étude, journal Folha de S.Paulo.