L’engouement grandissant pour les soins par les plantes médicinales – notamment des plantes venues de très loin – pèse lourdement sur les ressources de la planète. Dans un livre publié en 2021 qui est à la fois un manifeste écologique et un manuel de phytothérapie, la Dre Aline Mercan réconcilie soins au naturel et écologie pratique. Le titre du livre est très clair : Manuel de phytothérapie écoresponsable – Se soigner sans piller la planète (vous pouvez l’acheter ici). Médecin de formation, frustrée par l’approche symptomatique et purement médicamenteuse de la discipline, Aline Mercan s’est alors tournée vers la phytothérapie, puis vers l’anthropologie médicale. Creapharma.ch a pu lui poser quelques questions.
Creapharma.ch – Comment vous est venue l’idée, si j’ose la nommer ainsi, de cette conscience écologique, c’était un long processus ou un jour vous avez dit “Eureka” ?
Dre Aline Mercan – Je suis partie au Tibet en 2002 pour y inventorier la flore médicinale et ses usages dans le cadre d’une recherche ethnobotanique. J’y suis retourné 3 fois entre 2004 et 2015 et j’y constatais une raréfaction de nombreuses plantes jusqu’à leur disparition totale pour fournir le marché de la médecine chinoise et tibétaine (dont la pharmacopée est devenue la deuxième source de devise pour le Tibet après l’élevage…). Cela m’a interrogé et j’ai voulu comprendre, à partir de là j’ai “enquêté” sur la filière de production qui est mondiale et fonctionne à peu près comme le marché agro-alimentaire : des matières premières pas chères (ressource sauvage à 80% qui pousse toute seule et est ramassée par des cueilleurs sous-payés et sous-formés), des intermédiaires (trop) nombreux, des plus-values sur les phases finales, un marché quasiment intraçable. Et j’ai compris le lien entre cueilleurs sous considérés ramassant n’importe comment, menace pour l’environnement et qualité des produits décevante. Tout est lié.
Dans votre livre vous parlez de plantes médicinales à privilégier pour des raisons écologiques et d’autres à éviter ? Est-ce qu’il y a une règle facile à retenir, j’imagine que vous cherchez à privilégier les plantes locales ?
Pas de règles hélas, chaque plante est menacée selon divers facteurs : son abondance, sa facilité à se reproduire, la partie collectée si elle compromet la reproduction, son succès sur un marché soumis à des modes, sa possibilité d’être cultivée de façon facile et rentable (sachant que même cultivée, la ressource sauvage sera toujours moins cher donc exploitée sur une logique de marché), la corruption dans les pays où elle pousse (il existe des règles de protection mais elles sont généralement ignorées), etc. Evidemment , l’état de conservation d’aujourd’hui n’est pas celui de demain donc les données évoluent (sauf pour celles qui sont plus ou moins fichues)
Par contre, acheter une plante dans un circuit court et traçable avec un label et des engagements du producteur est une manière simple de s’assurer de qualité et éthique.
Exemple : Arnica montana (photo ci-dessous) maintenant menacé en France par la surexploitation et l’anthropisation à remplacer par paquerette ou Arnica chamissonis cultivé.
Exemple : le prunier africain pour l’hypertrophie de prostate dont on coupe l’arbre entier alors qu’on pourrait en faire une taille raisonnable et qu’il existe des alternatives (racines d’ortie, graines de courge, épilobe) moins prédatrices.
Au fond n’est-ce pas un peu irresponsable de trop médiatiser la phytothérapie, surtout les huiles essentielles, comme on le fait maintenant dans de nombreux pays du monde…
Absolument et c’est implacablement mathématique : on ne peut pas être toujours plus nombreux, consommer toujours plus de plantes sauvages (+8-15% par an) qui vivent sur toujours moins d’aires naturelles en cours de réchauffement en choisissant qui plus est la forme la plus consommatrice de ressource qui en plus et malgré sa réputation de puissance n’est pas toujours plus efficace qu’un extrait moins gourmand voir une tisane selon les indications. On peut faire une phytothérapie raisonnable en agissant d’abord sur l’hygiène de vie et en consommant le strict nécessaire avec les formes les plus respectueuses.
Les plantes contre la stéatose hépatique ne sont pas très utiles, pourquoi ?
Il s’agit d’un “foie gras” lié à une alimentation trop riche et la solution est de changer d’alimentation, ça marche et il n’y en a pas d’autres, aucune plante (ni médicament) ne fait mieux.
Parlez-nous un peu de l’harpagophytum, une plante très utilisée en phytothérapie contre l’arthrose. Il y a un mélange de culture mais aussi de cueillette sauvage ?
L’harpagophytum est menacé en Afrique du Sud avec plein de contrefaçons sur le marché (de l’arthrose). Malgré la culture, il y a un large recours à la plante sauvage qui commence à subir une érosion génétique, ce qui compromet son adaptabilité et menace de la faire disparaitre de la nature. Cette plante peut pourtant être remplacée par la scrofulaire noueuse qui se cultive aisément en Europe.
J’ai été surpris en lisant votre livre par l’huile essentielle de mélisse, un très mauvais rendement, qu’est-ce que cela veut dire ? Donc si je comprends bien il faut surtout privilégier la tisane de mélisse…
0,01% à au mieux 0,05%, bref 10’000 kilos de mélisse pour un kilo d’HE. L’extrait alcoolique ou la tisane sont efficaces pour la digestion et l’HE n’est en rien indispensable outre qu’elle est hors de prix et encourage à de la culture intensive pour obtenir de tels volumes.
Finalement, avez-vous quelques conseils pratiques à nous délivrer pour bien se soigner avec les plantes médicinales ? Vous parlez si possible de privilégier les tisanes ou les teintures (à base d’alcool) plutôt que les huiles essentielles, quand c’est possible en tout cas.
Privilégier les formes simples à efficacité égale : par exemple pour drainer un foie le mieux c’est la tisane de romarin (les principes actifs sont solubles dans l’eau mais absents des HE) et non l’huile essentielle. Privilégier une filière courte traçable, durable avec un cueilleur bien formé et engagé dans une démarche environnementale (chartes, guides, associations professionnelles), la plupart des plantes exotiques non traçables sont faciles à remplacer. Privilégier les formes cultivées pour épargner le sauvage, mais impossible d’avoir des données fiables chez les grossistes et si la filière est longue. Choisir des labels qui engagent tout à la fois sur la qualité environnementale, sociale et qualité (toutes étant liées) Interroger les thérapeutes, les entreprises, les revendeurs sur le degré de conscience de la problématique. Et on peut faire de la phytothérapie efficace et fiable.
Merci à la Dre Aline Mercan pour cet interview, vous pouvez acheter son livre sur ce site officiel.
Le 23 mars 2022. Interview réalisé par email entre Xavier Gruffat (Creapharma.ch) et la Dre Aline Mercan en mars 2022. Crédits photos : Adobe Stock, divulgation.