SAO PAULO – En 1973, un scientifique est tombé par hasard sur un arbre étrange dans la forêt amazonienne du Pérou, différent de tout ce qu’il avait jamais vu. Il mesurait environ 6 mètres de haut et portait de minuscules fruits orange en forme de lanternes en papier (photo ci-dessous). Il a prélevé des échantillons des feuilles et des fruits de la plante, mais tous les scientifiques à qui il les a montrés étaient surpris – non seulement ils étaient incapables d’identifier la plante comme une espèce déjà décrite par les scientifiques, mais ils ne pouvaient même pas déclarer qu’il s’agissait d’une nouvelle espèce, car ils ne pouvaient pas dire à quelle famille elle appartenait. Mais dans une nouvelle étude publiée dans la revue Taxon (DOI : 10.1002/tax.12588) en octobre 2021, les scientifiques ont analysé l’ADN de la plante et déterminé sa place dans l’arbre généalogique des arbres, lui donnant finalement un nom signifiant “Mystère de Manu” (Aenigmanu), d’après le parc national de Manú au Pérou d’où elle provient. Cette plante permet de réduire l’accumulation de graisses autour du foie et combattre l’obésité et le diabète, selon la Folha de S.Paulo (plus grand journal brésilien) du 22 mars 2022. Par contre, elle serait menacée de disparition.
Impossible de la situer
Robin Foster, le scientifique qui a collecté dans les années 1970 à l’origine cette plante mystérieuse dans le parc national de Manu au Pérou, conservateur retraité du Field Museum de Chicago explique dans un communiqué de presse de l’étude qu’il ne pensait pas vraiment que cette plante était spéciale, si ce n’est qu’elle présentait les caractéristiques de plantes de plusieurs familles différentes, et qu’elle n’entrait dans aucune famille. D’habitude, il peut reconnaître la famille d’un simple coup d’oeil, mais là il n’a pas pu la situer.
Travail d’équipe
Robin Foster n’était pas le seul à ne pas comprendre. Nancy Hensold, botaniste au Field Museum aux Etats-Unis, se souvient qu’il lui a montré un spécimen séché de la plante il y a plus de 30 ans. “Je suis venue travailler au Field Museum en 1990, et Robin m’a montré cette plante. Et j’ai essayé de la faire identifier en utilisant de petits caractères techniques fins comme faire bouillir les ovaires des fleurs et prendre des photos du pollen, et après tout cela, nous ne savions toujours pas”, se souvient-elle. “Cela m’a vraiment dérangé.”
La plante mystérieuse est restée dans l’herbier du Field Museum, une bibliothèque de spécimens de plantes séchées, pendant des années, mais Nancy Hensold et ses collègues ne l’ont pas oubliée. “Lorsque vous avez une plante que personne ne peut mettre dans une famille, elle peut passer entre les mailles du filet scientifique. Je me suis sentie concernée”, dit-elle. L’équipe a fini par obtenir une subvention pour étudier la plante, financée par le Women’s Board du Field Museum, et la recherche a commencé.
L’équipe a tenté d’analyser l’ADN de la plante à l’aide des spécimens séchés, mais comme cela n’a pas fonctionné, elle a demandé l’aide de Patricia Álvarez-Loayza, une scientifique qui travaille dans le parc national de Manu et qui a passé des années à surveiller la forêt là-bas, pour trouver un spécimen frais de la plante. Elle l’a fait, et lorsque les chercheurs du Field l’ont analysé dans le laboratoire d’ADN Pritzker du musée, ils ont été choqués par ce qu’ils ont trouvé.
Grâce à l’ADN
L’analyse de l’ADN a révélé que les parents les plus proches de la plante mystérieuse appartenaient à la famille des Picramniaceae, ce qui n’a pas été une mince affaire pour les botanistes car elle ne ressemblait en rien à ses parents les plus proches, du moins à première vue. “En regardant de plus près la structure des toutes petites fleurs, j’ai réalisé, oh, elle a vraiment quelques similitudes, mais étant donné ses caractères généraux, personne ne l’aurait placée dans cette famille”, expliquait Mme Hensold en 2021. La famille des Picramniaceae comptait 53 espèces différentes, des petits arbres, en mars 2022. .
L’ADN ayant finalement révélé à quelle famille appartenait la plante, les chercheurs ont pu lui donner un nom scientifique officiel, Aenigmanu alvareziae. Le nom du genre, Aenigmanu, signifie “mystère de Manu”, tandis que le nom de l’espèce est en l’honneur de Patricia Álvarez-Loayza, qui a collecté les premiers spécimens utilisés pour l’analyse génétique. Il convient de noter que si Aenigmanu alvareziae est nouveau pour les scientifiques, il est utilisé depuis longtemps par le peuple indigène Machiguenga, un peu comme le concept de la carte et du territoire.
Menace de disparition
Lors de la publication de leur article, les chercheurs affirmaient en 2021 que le fait d’obtenir enfin une classification scientifique pour l’Aenigmanu alvareziae pourrait finalement aider à protéger la forêt amazonienne face à la déforestation et au changement climatique. En effet, donner des noms uniques aux plantes médicinales d’Amazonie est le meilleur moyen d’organiser les informations les concernant et d’attirer l’attention sur elles. Dans un article publié le 22 mars 2022 dans le plus grand journal brésilien, Folha de S.Paulo, on apprenait que cette plante au fort potentiel médical dans la lutte contre l’obésité pouvait être menacée d’extinction. Le problème est que cet arbre pousse dans une surface restreinte de l’ouest de l’Amazonie et que lors de changement climatique les plantes peu fréquentes Aenigmanu alvareziae sont les premières à disparaître. En tout cas dans l’Amazonie brésilienne (état de l’Acre), cette plante est relativement rare.
Pas encore de médicaments
Même si certaines plantes ou arbres de la famille des Picramniaceae, dont fait partie cette espèce Aenigmanu alvareziae, sont utilisées en médecine traditionnelle au niveau local en Amazonie en mars 2022 aucun médicament n’a encore été commercialisé (dans le sens avec une autorisation de mise sur le marché ou au moins un processus industriel) à base de cette famille de plantes, selon la Folha de S.Paulo. Une future commercialisation peut s’avérer prometteuse, pour autant qu’on puisse garantir la survie de ces espèces d’arbres.
Le 22 mars 2022. Sources : communiqué de presse de l’étude en anglais, Folha de S.Paulo (Brésil). Crédits photos : Patricia Álvarez-Loayza