LONDRES – Permettre aux fumeurs de déterminer librement leur consommation de nicotine pendant qu’ils essaient d’arrêter de fumer serait susceptible de les aider à se débarrasser de cette habitude, selon une étude précoce menée par l’Université Queen Mary de Londres auprès de 50 personnes. Les résultats ont été publiés dans le journal Addiction le 2 janvier 2019 (DOI : 10.1111/add.14483).
Dans la première étude visant à adapter la dose de nicotine en fonction des besoins des fumeurs qui essaient d’arrêter de fumer, les résultats ont montré que la plupart des fumeurs qui prennent des médicaments pour cesser de fumer peuvent facilement tolérer des doses quatre fois plus élevées que celles qui sont normalement recommandées.
Produits médicinaux à base de nicotine sous-dosés
L’auteur de l’étude Dunja Przulj de l’Université Queen Mary de Londres a constaté que « Les fumeurs déterminaient leur consommation de nicotine pendant qu’ils fumaient, mais lorsqu’ils essayaient d’arrêter de fumer, leur taux de nicotine est dicté par la dose recommandée du traitement. Ces niveaux peuvent être beaucoup trop faibles pour certaines personnes, ce qui augmente la probabilité qu’elles recommencent à fumer. »
La scientifique poursuit : « Les produits médicinaux à base de nicotine sont peut-être sous-dosés et pourraient expliquer le succès limité des traitements, comme les timbres (patchs) et la gomme à mâcher, qui aident les fumeurs à arrêter de fumer. Un changement dans leur application pourrait se révéler nécessaire. Nos résultats devraient rassurer les fumeurs sur le fait qu’il est possible d’accepter les doses de nicotine qu’ils trouvent adaptés à leur besoin ».
Potentiel de dépendance limité de la nicotine
Lorsque le traitement de substitution de la nicotine a été évalué pour la première fois dans les années 1970, de faibles doses ont été utilisées en raison de préoccupations concernant la toxicité et la dépendance. Il est alors apparu que la nicotine en soi, en dehors des produits du tabac, a un potentiel de dépendance limité et que des doses plus élevées sont sûres et bien tolérées. Malgré cela, les médicaments destinés à arrêter de fumer ont maintenu des niveaux plus bas de nicotine dans leurs produits.
Prise en compte des commentaires des patients
Cette nouvelle étude, publiée dans la revue Addiction, a examiné 50 fumeurs dans une clinique de dépendance tabagique en Argentine et est la première au monde à essayer une approche combinée de ” préchargement ” de nicotine avant la date d’arrêt et d’adaptation des niveaux de nicotine en fonction des commentaires des patients.
Les participants ont commencé à prendre un timbre (patch) de nicotine de 21 mg par jour quatre semaines avant la date à laquelle ils ont cessé de fumer. La dose a été augmentée chaque semaine d’un autre timbre de 21 mg, à moins que les participants n’aient signalé des effets indésirables ou ne souhaitaient pas augmenter la dose, jusqu’à un maximum de quatre timbres, totalisant 84mg/jour. La dose a été réduite de 21 mg/jour chaque semaine à partir d’une semaine après la date d’arrêt, jusqu’à ce qu’elle revienne à la dose standard (21 mg/jour) quatre semaines plus tard.
On a conseillé aux participants de continuer à fumer comme ils le souhaitaient tout au long de la période précédant l’abandon du tabac et on leur a offert d’autres thérapies de remplacement de la nicotine par voie orale.
Des résultats probants
Sur les 50 participants, 90 % sont passés à au moins trois timbres, et 72 % à quatre timbres.
82 % des participants ont réussi à s’abstenir de fumer pendant quatre semaines et n’ont constaté aucune augmentation significative des symptômes de sevrage, y compris des envies de fumer.
La consommation de cigarettes et le plaisir de fumer ont diminué considérablement au cours de la période précédant l’abandon du tabac, et l’intervention a été jugée utile et facile à respecter.
Au cours de la période précédant l’abandon du tabac, le nombre de cigarettes fumées par jour a diminué considérablement, passant de 20 par jour au début à 6 par jour à la date d’abandon.
Le nombre d’effets indésirables a augmenté à mesure que la dose du timbre augmentait. Les plus fréquentes étaient les nausées, suivies de vomissements, mais elles étaient surtout légères et bien tolérées.
Deux participants ont qualifié leurs effets indésirables de ” graves “, tous deux à la dose de 63 mg. L’un a signalé des maux de tête, des nausées et une sensation de faiblesse ; l’autre a eu des nausées et une vision trouble. Tous deux ont réduit leur dose à 42mg/jour.
Seulement 6 % des participants ont abandonné le traitement et aucun n’a abandonné à cause des effets secondaires des timbres.
Un taux de nicotine élevé provoque une sensation de répugnance
Le professeur Peter Hajek de l’Université Queen Mary de Londres a ajouté que « Les fumeurs sont parfaitement capables de déterminer quelles doses de nicotine leur conviennent. Il n’y a pas de risque de surdosage dangereux, car la nicotine comporte une valve de sécurité efficace sous forme de nausées. Nos résultats suggèrent également que l’une des raisons pour lesquelles les e-cigarettes sont tellement plus populaires et potentiellement plus efficaces que les autres traitements de remplacement de la nicotine est que les fumeurs peuvent ajuster leur consommation de nicotine en fonction de leurs besoins ».
On croit qu’une ” précharge ” de nicotine avant la date d’abandon du tabac pourrait aider à affaiblir le lien conditionnel entre le tabagisme et la récompense, et à réduire le plaisir de fumer. De plus, si le taux de nicotine avant le chargement est suffisamment élevé, un apport supplémentaire de nicotine provenant de la cigarette devrait causer des nausées et devenir répugnant.
Une étude encore assez limitée
Selon l’auteur de l’étude, l’étape suivante consiste à réaliser un essai randomisé de plus grande envergure pour vérifier que l’augmentation de la dose, et en particulier son utilisation avant d’arrêter, augmente l’efficacité du traitement.
L’étude actuelle est limitée dans la mesure où elle n’a pas inclus de contrôle placebo, de sorte que les données sur l’abstinence ne sont qu’indicatives. La diminution signalée du plaisir de fumer peut aussi avoir été influencée par les attentes. De plus, avec un échantillon de 50 personnes, des effets indésirables rares ne peuvent être exclus.
Le 04 janvier 2019. Par la rédaction de Creapharma.ch (supervision scientifique par Xavier Gruffat, pharmacien). Sources : Communiqué de presse de l’étude (en anglais). Référence : Addiction (DOI : 10.1111/add.14483).