Environ un tiers de la population occidentale a des troubles du sommeil. Le Dr José Haba-Rubio (photo ci-dessous) a accordé une interview exclusive à Creapharma.ch. Il est neurologue et chercheur au Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et au Centre du sommeil de Florimont, à Lausanne en Suisse. Il donne aussi des conférences lors de congrès médicaux comme celui de Quadrimed qui s’est tenu fin janvier 2024 à Crans-Montana (VS). Un rapport publié le 29 janvier 2024 par l’Office fédéral de la statistique (OFS) montrait que les troubles du sommeil étaient très répandus en Suisse avec un tiers de la population en souffrant (7% de troubles pathologiques et 26% de troubles de gravité moyenne). Ils sont plus fréquents chez les femmes (37%) que chez les hommes (29%) et s’aggravent avec l’âge1.
Creapharma.ch – Une grande partie de la population souffre de troubles du sommeil, quelles sont selon vous les principales causes ?
Dr José Haba-Rubio – Effectivement, les troubles du sommeil sont extrêmement fréquents dans la population générale. Quand on parle de troubles du sommeil, on pense souvent à l’insomnie, mais il faut dire qu’il y a aussi d’autres pathologies qui peuvent perturber le sommeil ou entraîner des troubles de la vigilance pendant la journée (le syndrome d’apnées du sommeil, les hypersomnies telles que la narcolepsie). En tout cas, en ce qui concerne l’insomnie, on considère qu’environ un tiers de la population générale adulte présente une symptomatologie d’insomnie.
Il y a beaucoup de facteurs qui peuvent déclencher une insomnie car le sommeil est un phénomène complexe mais aussi sensible à de multiples influences. Le problème avec le sommeil est qu’ une fois qu’il a été perturbé (par un facteur déclencheur qui correspond à une situation de stress), les troubles du sommeil peuvent persister même une fois que le facteur déclencheur a disparu. Toutes les situations de stress peuvent déclencher une insomnie mais souvent celle-ci devient chronique, car il se met en route une série de mécanismes d’auto-entretien qui deviennent finalement indépendants du facteur déclencheur.
Beaucoup de gens prennent du zolpidem (Stilnox® et génériques), tout d’abord pourquoi ce médicament est-il si efficace ?
Le zolpidem et la zopiclone (aussi appelés des “Z-drugs”) sont des agonistes des récepteurs GABAA, avec une affinité sélective pour une sous-unité spécifique de ces récepteurs, qui augmente l’activité de ce neurotransmetteur, qui est le principal inhibiteur du cerveau. C’est donc un hypnotique qui permet de déclencher le système du sommeil et permet un endormissement plus rapide. Les “Z-drugs” sont des médicaments globalement très sûrs mais comme tous les médicaments, ils peuvent comporter des risques et des effets secondaires, engendrer une dépendance, et il faut donc les utiliser avec prudence.
Justement, le zolpidem est très efficace mais peut aussi mener à des risques de dépendance et des effets secondaires parfois graves…
Parmi les effets indésirables, il faut faire attention aux effets résiduels (avec au réveil, il y a encore une partie du médicament qui circule dans l’organisme, qui peut entraîner des problèmes de somnolence, une diminution des réflexes), donc il faut faire attention à la conduite automobile. Il y a aussi des cas décrits de somnambulisme, d’épisodes confusionnels. Le problème de ces médicaments est surtout l’utilisation à long terme avec un risque de dépendance. C’est pour cela qu’on recommande ce type de médicament plutôt pour les insomnies aiguës ou de courte durée. Idéalement, on devrait limiter son utilisation à moins de 4 semaines.
A part le zolpidem et la zopiclone (“Z-drugs”), est-ce qu’il y a de nouveaux médicaments somnifères qui s’avèrent efficaces avec peut-être moins de risques négatifs pour la santé ?
A part le zolpidem et les autres “Z-drugs”, il y a de nouveaux médicaments somnifères et de nombreux médicaments qui ont un effet sur le sommeil, notamment les benzodiazépines, les agonistes gabaergiques comme les “Z-drugs”, certains antidépresseurs sédatifs, des antihistaminiques de première génération, des neuroleptiques, la mélatonine, la phytothérapie (ndlr. lire aussi question ci-dessous), mais qui peuvent avoir aussi des effets indésirables potentiellement graves.
Une nouvelle classe thérapeutique est constituée par les antagonistes des récepteurs à l’orexine. A cette classe thérapeutique appartient le daridorexant (QUVIVIQ™ comprimés pelliculés) qui améliore le sommeil en inhibant l’orexine, un système qui est promoteur de l’éveil plutôt qu’en induisant une sédation globale. Les études à disposition montrent que c’est un médicament qui diminue la latence à l’endormissement, qui améliore la continuité du sommeil et qui est globalement bien toléré, avec peu d’effet rebond à l’arrêt.
Que pensez-vous des remèdes dits naturels ou de phytothérapie pour dormir comme la valériane ? Personnellement comme pharmacien je ne les trouve pas très efficaces, en tout cas pour m’endormir… Avez-vous un retour positif de certains remèdes naturels avec vos patients ?
Certaines plantes telles que la valériane, la passiflore, la fleur d’aubépine ou la verveine (officinale) peuvent favoriser l’endormissement par des effets relaxants. Ceci dit, ces effets sont discrets, cela peut être donc une aide au traitement mais pas toujours très efficace, surtout en cas d’insomnie sévère et chronique.
Je lisais dans un livre de la Mayo Clinic que prendre 250 mg de magnésium et 250 mg de calcium le soir avant d’aller dormir améliore le sommeil, qu’en pensez-vous ?
Par rapport au magnésium et la prise de calcium le soir, en général, les supplémentations en oligoéléments ou métaux, sauf dans les cas de carences avérées, ne semblent pas avoir un effet majeur sur le sommeil, en tout cas en cas d’insomnie chronique.
Finalement, avez-vous quelques conseils pratiques à donner pour avoir un meilleur sommeil, que cela soit pour s’endormir rapidement et pour maintenir un bon sommeil pendant toute la nuit, à l’ère de la modernité ?
Jusqu’à présent, on a parlé de l’effet des médicaments pour traiter l’insomnie mais finalement, toutes les différentes études et toutes les recommandations internationales soulignent que les traitements pharmacologiques ne devraient être qu’un traitement de deuxième ligne, une fois que les approches non pharmacologiques n’ont pas donné de résultat.
Le traitement de première ligne de l’insomnie chronique est la thérapie cognitivo-comportementale (TCC), thérapie brève en quelques séances qui est très efficace (beaucoup plus que les médicaments) et qui permet de « guérir » de l’insomnie. Ce n’est pas seulement un traitement symptomatique, ce qui fait que ses effets perdurent dans le temps. Lors de cette TCC, un des piliers est effectivement avoir une bonne hygiène du sommeil, par l’application de toute une série de règles.
Il est notamment très important d’avoir des rythmes réguliers, notamment de lever ; il faut éviter de rester au lit si on ne dort pas, restreindre le temps passé au lit au sommeil (et aux activités sexuelles), mais dissocier le lit de toute activité non compatible avec le sommeil comme lire, regarder la télévision ou manger ; éviter les siestes notamment prolongées si le sommeil de nuit est fragile ; éviter l’exposition à la lumière (notamment les dispositifs électroniques) le soir ; créer de bonnes conditions d’environnement (éviter le bruit, une chambre trop chaude ou trop froide, avoir un lit confortable) ; éviter les ruminations au lit avec des techniques de relaxation à pratiquer avant de se coucher.
Creapharma.ch remercie le Dr José Haba-Rubio pour cette interview (plus d’informations sur Dr Haba-rubio ici)
Le 29 janvier 2024 (date de publication). Interview réalisée par e-mail en janvier 2024 par Xavier Gruffat (pharmacien). Soutien pour interview : Pharmapro.ch (site d’offres d’emploi pour pharmaciens et assistantes en pharmacie) et Medpro.ch (site d’offres d’emploi pour assistantes médicales, secrétaires médicales et médecins).
Correction de l’orthographe (relecture) : Seheno Harinjato Razanamanga et Christine Gruffat