SAN DIEGO – Environ 10% de la population prend des inhibiteurs de la pompe à proton (IPP) comme l’oméprazole pour bloquer les sécrétions gastriques acides et diminuer les symptômes des brûlures d’estomac et du reflux acide. Ce pourcentage pourrait être 7 fois plus élevé chez les personnes souffrant de maladies chroniques du foie. Mais des chercheurs de l’école de médecine de l’Université de Californie à San Diego ont découvert sur des souris et des êtres humains que la suppression de l’acide gastrique altère les bactéries intestinales spécifiques d’une manière à favoriser les lésions hépatiques et la progression de trois types de maladies du foie chroniques.
« Nos estomacs produisent de l’acide gastrique pour tuer les microbes ingérés et prendre des médicaments pour supprimer la sécrétion d’acide gastrique peut changer la composition du microbiote intestinal (anciennement appelé flore intestinale) », explique le Prof. Bernd Schnabl, auteur senior de l’étude et professeur associé de gastro-entérologie à l’Université de Californie à San Diego. Le spécialiste américain poursuit : « Depuis que nous avons découvert dans le passé que le microbiote intestinal – les communautés de bactéries et autres microbes qui vivent à cet endroit – peut influencer le risque de souffrir de maladies du foie, nous nous sommes demandés quel effet une suppression de l’acidité gastrique peut avoir sur la progression de maladies hépatiques chroniques. Nous avons découvert que l’absence d’acidité gastrique favorise la croissance des bactéries Enterococcus dans l’intestin et son déplacement dans le foie, où ces bactéries accroissent l’inflammation et aggravent les maladies hépatiques chroniques. »
Cirrhose
La cirrhose du foie est la 12ème cause de mortalité dans le monde et le nombre de personnes avec une maladie chronique du foie est en train d’augmenter rapidement dans les pays occidentaux. Cette augmentation est en partie provoquée par l’augmentation du nombre d’obèses. On sait que l’obésité est associée à la stéatose hépatique non alcoolique (NASH, de l’anglais). Environ la moitié de tous les décès provoqués par une cirrhose sont liés à l’alcool.
Les inhibiteurs de la pompe a protons (IPP) comme l’oméprazole (noms de marque Mopral®, Antramups®, Prilosec® ou Antra®) ou l’ésoméprazole (Nexium®) comptent parmi les médicaments les plus prescrits à travers le monde, particulièrement chez les personnes souffrant de maladies hépatiques chroniques. Ces médicaments, en tout cas les génériques, sont des médicaments souvent bon marché. Le marché des IPP est estimé à 11 milliards de dollars (USD) par année aux Etats-Unis, selon une étude publiée en 2012.
Étude sur des souris
Pour déterminer l’effet de la suppression de l’acidité gastrique sur la progression des maladies hépatiques chroniques, l’équipe du Prof. Schnabl a regardé des modèles sur des souris qui imitent la maladie hépatique non alcoolique, la NAFLD (en anglais : non-alcoholic fatty liver disease) et la NASH chez des humains. Ils ont bloqué la production d’acide gastrique soit par des méthodes génétique ou en utilisant un IPP. Les chercheurs ont ensuite séquencé des gènes spécifiques aux microbes récoltés sur les selles des animaux pour déterminer la composition du microbiote intestinal sur chaque type de souris, avec ou sans le blocage de la production d’acide gastrique.
Les scientifiques ont découvert que les souris avec une suppression de l’acidité gastrique ont développé des changements dans leur microbiome intestinal. Elles avaient en particulier davantage de bactéries de l’espèce Enterococcus. Ces changements favorisaient l’inflammation et une blessure du foie, augmentant la progression des 3 maladies du foie chez la souris : la maladie hépatique non alcoolique, la NAFLD et la DASH.
Afin de confirmer qu’il s’agissait bien des bactéries Enterococcus qui exacerbaient les maladies hépatiques chroniques, le Prof. Schnabl et son équipe ont aussi colonisé des souris avec la bactérie fréquente de l’intestin Enterococcus faecalis pour imiter l’hypercroissance des bactéries Enterococcus qu’ils avaient observé après une suppression de l’acide gastrique. Ils ont découvert que l’unique augmentation de l’Enterococcus était suffisante pour induire une stéatose modérée et augmenter la maladie alcoolique du foie chez la souris.
Êtres humains
L’équipe a aussi examiné le lien entre la prise d’IPP et la maladie alcoolique du foie chez des personnes qui abusent de l’alcool. Ils ont analysé une cohorte de 4’830 patients avec un diagnostic d’abus d’alcool chronique (alcoolisme). Dans cette cohorte 1024 personnes (21%) prenaient activement des IPP, 745 (15%) avaient déjà pris des IPP et 3061 (63%) n’en avaient jamais pris.
Les scientifiques ont remarqué que la prise d’IPP parmi ces patients augmentait la concentration d’Enterococcus dans les selles. De plus, le risque à 10 ans de développer une maladie hépatique alcoolique était de 20,7% chez les utilisateurs actifs d’IPP, de 16,1% chez les anciens utilisateurs d’IPP et de 12,4% chez ceux qui n’ont jamais pris des IPP.
Les chercheurs ont conclu qu’il y avait une association entre la prise d’IPP parmi les personnes qui abusent d’alcool et le risque de maladies du foie.
Moins de médicaments
Même si d’autres études sont nécessaires pour confirmer ou non ces résultats, le Prof. Schnabl estime qu’en fonction de ces résultats il est conseillé de diminuer la prise d’IPP si c’est possible. Certaines méthodes non médicamenteuses permettent de réduire l’acidité gastrique comme la perte de poids, la diminution de la consommation d’alcool, de café et de plats épices. Il est aussi conseillé de manger par petites portions pendant la journée.
Le Prof. Schnabl conclut son communiqué de presse : « Nous serons peut-être un jour capable de manipuler le microbiome intestinal et en particulier Enterococcus faecalis pour atténuer les effets de l’alcool sur le foie associé à la suppression de l’acidité gastrique. »
Cette étude a été publiée le 10 octobre 2017 dans le journal scientifique de référence Nature Communications.
Le 13 octobre 2017. Par Xavier Gruffat (Pharmacien). Source : communiqué de presse de l’étude. Remarque : nous n’avons pas été capables de trouver le DOI de l’étude. Lire aussi : cancer du foie