SAN DIEGO – Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), dont les noms de marque bien connus Prilosec, Nexium et Prevacid, comptent parmi les médicaments les plus prescrits dans le monde. Environ 10% des adultes aux États-Unis prennent ces médicaments pour des brûlures d’estomac fréquentes, le reflux acide et le reflux gastro-oesophagien. Étant donné leur prévalence, les chercheurs de la Skaggs School of Pharmacy and Pharmaceutical Sciences de l’Université de Californie à San Diego ont exploité la base de données du FDA Adverse Effect Reporting System (FAERS) pour déterminer les conséquences imprévues de la consommation d’IPP. L’étude, publiée le 19 février 2019 dans le journal Scientific Reports (DOI : 10.1038/s41598-019-39335-7), a permis à l’équipe de constater que les patients qui prenaient des IPP étaient plus susceptibles de présenter une maladie rénale que ceux qui prenaient des antagonistes des récepteurs histaminiques-2, une autre forme d’antiacide qui traite les mêmes maux et qui comprend les marques Pepcid et Zantac.
« Les données post-commercialisation recueillies par la FDA et déposées dans la base de données FAERS nous permettent de rechercher les effets indésirables potentiels au-delà de ce qui a été trouvé dans un essai clinique, qui n’a peut-être pas duré aussi longtemps ou n’a pas inclus autant de diversité que le FAERS », a déclaré Ruben Abagyan, PhD, professeur en pharmacie.
Le prof. Abagyan a dirigé l’étude avec les étudiants en pharmacie Tigran Makunts, Isaac Cohen et Linda Awdishu, PharmD, professeure clinicienne associée et présidente de la Division de pharmacie clinique, tous à la Skaggs School of Pharmacy.
Risque accru d’insuffisance rénale
La base de données FAERS contient plus de 10 millions de dossiers de patients où figurent tous les rapports volontaires d’effets indésirables pendant la prise d’un médicament. L’équipe de recherche s’est concentrée sur les patients qui prenaient des IPP et aucun autre médicament, ce qui a réduit la population de l’étude à environ 43’000 patients. Ils ont appliqué un algorithme mathématique pour rechercher les différences statistiquement significatives dans les complications rénales rapportées entre les patients qui ont pris des IPP et le groupe témoin, environ 8 000 patients qui ont pris des inhibiteurs des récepteurs histaminiques-2, tels que Zantac ou Pepcid, et aucun autre médicament.
Voilà ce qu’ils ont trouvé : les patients qui n’ont pris que des IPP ont signalé une réaction indésirable liée au rein à une fréquence de 5,6 %, comparativement à 0,7 % chez les patients qui n’ont pris que des antagonistes des récepteurs histaminiques-2.
L’équipe a constaté que, comparativement au groupe témoin, les patients qui n’avaient pris que des IPP étaient 28,4 fois plus susceptibles de déclarer une insuffisance rénale chronique, ainsi que des lésions rénales aiguës (4,2 fois plus susceptibles), une insuffisance rénale au stade terminal (35,5 fois plus susceptibles) et une insuffisance rénale non spécifiée (8 fois plus susceptibles). Les patients qui ont pris des IPP étaient également plus susceptibles de présenter des anomalies électrolytiques, mais cela variait davantage d’un IPP à l’autre, tandis que les effets propres aux reins étaient les mêmes pour les cinq IPP examinés.
Le Prof. Abagyan a averti que cette étude ne révèle pas la fréquence absolue de ces plaintes liées aux reins pour toutes les personnes qui prennent des IPP, puisque la déclaration dans le système FAERS est volontaire. Il dit aussi qu’il est possible, quoique peu probable, que l’effet soit dû à des facteurs confondants non identifiés. Un vaste essai clinique contrôlé et randomisé serait nécessaire pour démontrer définitivement la causalité entre l’utilisation des IPP et le risque absolu d’insuffisance rénale chez les humains.
Mises en garde, éducation et surveillance nécessaires
Comme le souligne l’Organisation mondiale de la santé, les IPP sont des médicaments essentiels pour de nombreuses personnes, les aidant à contrôler des symptômes qui sont souvent douloureux et perturbateurs dans la vie quotidienne. Cependant, le Prof. Abagyan espère que ces données initiales inciteront les fournisseurs de soins de santé à fournir les mises en garde, l’éducation et la surveillance appropriées aux patients qui ont besoin d’IPP, en particulier s’ils sont déjà à risque élevé de maladie rénale et d’anomalies électrolytiques. Les chercheurs ont formulé des recommandations similaires à la suite d’une étude menée en 2017 par la San Diego School of Medicine de l’Université de Californie à San Diego, qui a révélé que les IPP favorisaient les maladies chroniques du foie chez les souris et les humains.
Un coût moindre favorisant la fréquence d’utilisation
Les IPP sont des médicaments relativement peu coûteux, vendus au détail au coût d’environ 7 $ pour un traitement de deux semaines recommandé de Prilosec (oméprazole) générique en vente libre. Mais la fréquence d’utilisation s’additionne – une étude estime que les Américains dépensent 11 milliards de dollars en IPP chaque année. Il existe des solutions de rechange peu coûteuses et facilement accessibles aux IPP. Cependant, les antiacides non à base d’IPP (p. ex., Pepto-Bismol, Tums, antagonistes des récepteurs de l’histamine-2) peuvent ne pas être aussi efficaces.
Le 22 février 2019. Par la rédaction de Creapharma.ch (supervision scientifique par Xavier Gruffat, pharmacien). Sources : Communiqué de presse de l’étude (en anglais). Référence : Scientific Reports (DOI : 10.1038/s41598-019-39335-7). Crédit photos : Adobe Stock