« Le vaccin a déjà été utilisé des milliards de fois »
BONN – Le vaccin contre la tuberculose, mis au point il y a 100 ans, rendrait également les personnes vaccinées moins sensibles à d’autres infections. Bien que cet effet soit reconnu depuis longtemps, on ne sait pas ce qui en est la cause. Avec des collègues d’Australie et du Danemark, des chercheurs du centre médical universitaire Radboud des universités de Nijmegen et de Bonn ont présenté une réponse possible à cette question. Leurs résultats sont également intéressants dans le contexte de la pandémie de Covid-19. En effet, plusieurs études testent actuellement l’utilisation du vaccin pour prévenir la propagation de la maladie chez la population à risque comme le personnel hospitalier et les personnes âgées. L’étude a été publiée le 15 juin 2020 dans la revue Cell Host & Microbe (DOI : 10.1016/j.chom.2020.05.014).
Baisse de la mortalité des nouveau-nés vaccinés en Guinée-Bissau
Le vaccin BCG (l’abréviation signifie Bacillus Calmette-Guérin) est le seul vaccin qui offre une protection efficace contre les infections par la bactérie de la tuberculose. Depuis sa première application médicale en 1921, il a été utilisé des milliards de fois. Un effet secondaire inattendu est apparu : les personnes vaccinées ont non seulement contracté la tuberculose beaucoup moins fréquemment, mais aussi d’autres infections. Un exemple nous vient de la Guinée-Bissau, en Afrique de l’Ouest : là-bas, la mortalité des nouveau-nés vaccinés était inférieure de près de 40 % à celle des bébés non vaccinés.
Un effet similaire a été observé avec d’autres vaccins, presque exclusivement avec ceux basés sur des agents pathogènes vivants. La réponse immunitaire naturelle devient ainsi plus efficace indépendamment du type de réinfection. Cependant, on ignore encore largement pourquoi cet effet peut persister pendant des années, même longtemps après la mort des cellules immunitaires qui circulaient dans le sang au moment de la vaccination. Les études détaillées sur ce sujet faisaient défaut, en particulier chez l’homme ; l’étude actuelle comble cette lacune dans une certaine mesure : les chercheurs ont vacciné 15 volontaires avec le vaccin BCG et ont administré un placebo à cinq autres personnes à titre de comparaison selon l’explication du professeur Mihai Netea du centre médical universitaire Radboud à Nimègue, aux Pays-Bas. Après trois mois, ils ont prélevé des échantillons de sang et de moelle osseuse sur ces individus.
Résultats de l’étude
Des différences frappantes ont été constatées entre les deux groupes. Par exemple, les cellules immunitaires dans le sang des personnes vaccinées libéraient beaucoup plus de messagers inflammatoires. Ces soi-disant cytokines renforcent l’efficacité de la défense immunitaire ; par exemple, elles font appel à d’autres cellules immunitaires pour les aider et les dirigent vers le site de l’infection. De plus, les cellules immunitaires des personnes vaccinées ont montré une activité de gènes complètement différente de ceux du groupe placebo, en particulier ceux nécessaires à la production de cytokines.
Un accès plus facile aux gènes pour la défense contre les infections
Il existe de nombreux types de cellules immunitaires dans le sang. Tous sont produits dans la moelle osseuse. C’est là que se développent les cellules souches dites hématopoïétiques, les « mères » de toutes les cellules immunitaires. La vaccination par le BCG entraîne également des modifications à long terme de leur programme génétique. L’équipe de chercheurs a constaté qu’après la vaccination, certains matériels génétiques deviennent plus accessibles, ce qui signifie qu’ils peuvent être lus par les cellules plus fréquemment d’après le professeur Dr Andreas Schlitzer de l’institut LIMES de l’université de Bonn.
Livres…
Métaphoriquement parlant, chaque cellule humaine contient dans son noyau une immense bibliothèque de dizaines de milliers de livres, les gènes. Lorsque la cellule veut produire une certaine molécule, par exemple une cytokine, elle cherche ses instructions de montage dans le livre correspondant. Mais tous les livres ne peuvent pas être retirés aussi facilement : certains sont généralement sous clé. La vaccination par le BCG permet de disposer de certains de ces livres, probablement pendant plusieurs mois ou années. Il s’agit notamment de celles qui sont nécessaires à l’augmentation de la production de cytokines. Cela expliquerait pourquoi la vaccination entraîne une réponse immunitaire renforcée à long terme. Cela pourrait être la base de l’impact durable de l’effet du vaccin.
Un autre aspect est également intéressant : la plupart des livres publiés, c’est-à-dire les gènes qui deviennent plus accessibles après l’administration du vaccin, sont en outre contrôlés par une molécule appelée HNF. Cette « héparine non fractionnée » garantit que les cellules immunitaires utilisent leur puissance nouvellement acquise avec prudence, ce qui signifie qu’elles ne libèrent des cytokines que lorsqu’il y a effectivement un agent pathogène à attaquer. Il est possible d’utiliser cette découverte à des fins thérapeutiques selon les chercheurs.
Un effet positif sur le Covid-19
Les résultats sont également intéressants dans le contexte de la pandémie actuelle de Covid-19 : les chercheurs espèrent qu’un vaccin BCG pourrait avoir un effet positif sur la maladie. Bien que le système immunitaire ne puisse probablement pas empêcher l’infection par le virus, il peut réduire le risque d’une évolution grave. Cela pourrait profiter en particulier au personnel médical particulièrement vulnérable. Plusieurs études médicales à grande échelle se penchent actuellement sur cette question, notamment deux au centre médical universitaire Radboud de Nimègue, et une autre à l’université de Melbourne, qui est également partenaire du projet actuel.
Toutefois, tant que les résultats ne sont pas disponibles, l’OMS ne recommande pas la vaccination de masse avec le vaccin BCG, et ce, afin de ne pas compromettre l’approvisionnement dans les régions touchées par la tuberculose. La tuberculose fait plus d’un million de victimes chaque année, ce qui la place en tête de liste des maladies infectieuses les plus meurtrières au monde.
Lire aussi : vaccins contre la Covid-19
Références & Sources :
Revue Cell Host & Microbe (DOI : 10.1016/j.chom.2020.05.014). Source : communiqué de presse de l’étude en anglais (traduit par Creapharma.ch).
Personnes responsables et impliquées dans l’écriture de ce dossier :
Seheno Harinjato (Rédactrice chez Creapharma.ch, responsable des infographies), relecture par Xavier Gruffat (pharmacien)
Date de dernière mise à jour du dossier :
19.06.2020
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Crédit infographie :
Pharmanetis Sàrl (Creapharma.ch)