COLOMBUS (OHIO) – Chaque année dans le monde des millions de personnes, des femmes surtout, sont traitées pour la cystite. On estime qu’une femme sur deux va en souffrir pendant sa vie. Malgré sa fréquence, cette maladie reste en grande partie un mystère scientifique. Toutefois, une équipe de chercheurs de l’Université du sud du Danemark a réussi à identifier comment la bactérie responsable de la maladie se développe dans la vessie notamment en changeant de forme, en s’allongeant. Ce travail de recherche danois devrait permettre le développement de médicaments plus efficaces. Cette étude vient compléter un travail réalisé en Suisse en début d’année, portant également sur une meilleure compréhension de la cystite comme Creapharma en avait parlé.
Cystite
La cystite est une maladie infectieuse douloureuse causée la plupart du temps par la bactérie E.Coli, caractérisée par une douleur pendant la miction et une envie fréquente d’uriner, parfois chaque 2 minutes. L’urine a souvent une très mauvaise odeur avec un écoulement de seulement quelques gouttes à chaque miction.
Lors de cystite, la bactérie E.Coli remonte le tractus urinaire, s’accroche à la paroi ou à la face interne de la vessie, croît puis provoque une inflammation. En réponse, la vessie rejette la couche externe de ses cellules puis évacue la plupart des bactéries dans l’urine. La conséquence est une urine trouble typique d’une infection urinaire comme la cystite.
Le traitement de la cystite repose sur des antibiotiques. Malheureusement les bactéries comme E.Coli ont souvent une capacité de résistance à ce traitement, ce qui mène à de nouvelles infections.
Etude en détail
Les scientifiques danois ont développé un modèle permettant l’observation et l’analyse systématique des bactéries à chaque étape de l’invasion bactérienne au niveau de la paroi de la vessie.
“Nous connaissons désormais des détails importants afin de savoir comment la bactérie rentre dans des phases de menace et nous pouvons potentiellement prévenir la bactérie d’entrer dans ces phases”, a expliqué le scientifique qui a mené cette étude, le Prof. Jacob Møller-Jensen de l’Université du sud du Danemark.
Changement de forme
Comme on l’a vu ci-dessus, en cas de cystite les bactéries sont éliminées au moment de la miction. Cependant, certaines bactéries E.Coli (photo ci-dessous) sont assez “rusées” pour éviter d’être nettoyées par l’urine.
D’une manière fascinante, les scientifiques ont pu constater que la bactérie E.Coli, comme stratégie de survie, arrive à modifier sa forme en devenant extrêmement longue (un processus connu sous le nom anglais de filamentation). En conséquence, ces bactéries arrivent à améliorer leur capacité à se fixer à la paroi de la vessie et sont moins éliminées par l’urine. Puis les bactéries se propagent plus loin (en amont) et détruisent les cellules de la vessie l’une après l’autre. Enfin, les bactéries atteignent la couche inférieure des cellules de la vessie, où elles pénètrent et arrêtent de se diviser. A ce stade, ni les antibiotiques et ni le système immunitaire ne peuvent atteindre ces bactéries.
Bactéries longues et minces
Les scientifiques savent depuis longtemps que la bactérie E.Coli a la capacité de changer de forme pendant l’infection. Mais jusqu’à présent il a été très difficile de découvrir comment la bactérie procède dans cette phase infectieuse.
La capacité qu’a E.Coli à former des longs filaments est cruciale pour sa propagation et le développement d’une cystite. La photo ci-dessous montre sur la droite la formation de longues bactéries de couleur verte au niveau de la paroi cellulaire de la vessie (fond rouge).
Afin de mieux comprendre comment E.Coli se propage, les scientifiques danois ont mis au point un modèle sous forme de vessie artificielle. Ce modèle était basé sur une cavité tapissée de cellules de la vessie. Les chercheurs ont ensuite rempli la cavité d’urine humaine et injecté des bactéries E.Coli.
En utilisant un microscope, les chercheurs ont réussi à observer les différentes étapes de l’infection dans les cellules de la vessie. Ils ont pu identifier le mécanisme menant la bactérie à développer des filaments. “C’est la première fois qu’on a réussi à atteindre ce niveau de détail,” a affirmé le Prof. Jakob Møller-Jensen dans un communiqué de presse.
100 fois plus grande
Interrogé par Creapharma, le Prof. Møller-Jensen précise que la bactérie E.Coli est capable de s’allonger de plus de 100 fois sa taille, ce qui augmente de façon dramatique son adhérence aux cellules de la vessie. En bloquant la formation de ces filaments, le professeur danois affirme qu’il serait possible d’augmenter l’élimination bactérienne par l’urine.
Nouveaux traitements, moins d’antibiotiques
Dans une interview accordée à Creapharma, le Prof. Møller-Jensen estime que la communauté scientifique devrait chercher des médicaments capables de bloquer des fonctions spécifiques dans les bactéries comme ici la formation de longs filaments plutôt que de se concentrer sur la recherche de nouveaux antibiotiques qui tuent totalement les bactéries.
Des souris sans cystite
Pour tester leur hypothèse, les chercheurs danois ont désactivé le mécanisme rendant la bactérie E.Coli longue et fine en réalisant une expérience sur des souris. Pour désactiver ce mécanisme, les chercheurs ont effectué des modifications génétiques au niveau de la bactérie sur le gène menant à la formation de filaments.
Lorsque la bactérie E.Coli génétiquement modifiée était injectée dans des souris, la bactérie était incapable de provoquer une infection vigoureuse. De plus, la capacité de la bactérie à pénétrer de façon profonde dans la paroi des cellules de la vessie a décliné rapidement. Autrement dit, lorsque le mécanisme est désactivé, la bactérie est sapée.
Les chercheurs estiment que leur découverte devrait permettre le développement de nouveaux traitements, notamment pour prévenir les cystites à répétition.
Cette étude a été présentée lors d’un congrès scientifique qui s’est tenu à Colombus (Ohio) aux Etats-Unis fin août 2016, ce travail a aussi été publié dans la revue scientifique mBio.
Mis à jour le 16 octobre 2016. Article écrit le 2 septembre 2016. Par Xavier Gruffat (Dipl. Pharmacien EPF Zurich, Dipl. MBA). Source: Communiqué de presse de l’étude. Interview avec le Professeur Møller-Jensen. Crédits photos: Fotolia.com, University of Southern Denmark