SAO PAULO (CONGRES MEDICAL) – Les statines comptent parmi les médicaments les plus prescrits au monde et notamment en France, avec selon des estimations de 2013, 5 à 6 millions de Français qui en prendraient tous les jours. Dans le monde, plus d’un milliard de personnes seraient sous statines. Ces médicaments, prescrits souvent à vie, ont principalement un rôle préventif des maladies cardiovasculaires comme l’infarctus du myocarde et l’AVC. Toutefois, le risque d’effets secondaires est relativement important et il s’agira pour le médecin, mais aussi le patient, de toujours bien peser les risques et les bénéfices d’un tel traitement. On sait notamment que les effets secondaires de type musculaire sont la première cause de l’arrêt du traitement à base de statines.
Creapharma (avec la version brésilienne du site Creapharma, Criasaude.com.br) a suivi pour vous un important congrès brésilien de cardiologie, l’un des plus respectés de toute l’Amérique latine et du monde, qui s’est tenu à Sao Paulo début juin 2015. Tour d’horizon des principaux effets secondaires des statines.
Troubles musculaires et statines
Commençons par le principal effet secondaire lié à la prise de statines, les myalgies ou troubles musculaires. Le Dr Fernando Cesena, du renommé Hôpital Israélite Albert Einstein de Sao Paulo, a rappelé l’étude STOMP (Effect of Statins on Skeletta Muscular Function and Performance), selon lui le principal travail de recherche sur les troubles musculaires dans la prise de statines. Dans cette étude, les chercheurs ont recruté 420 participants, une partie prenant un placebo et l’autre partie de l’atorvastatine. Dans le groupe placebo, 4,6% des participants ont rapporté des troubles musculaires contre 9,4% dans le groupe atorvastatine. Cette étude a montré le risque doublé d’effets secondaires de type musculaire lors de prise de statines.
Trouver la véritable cause
Le Dr Cesena a expliqué que pour bien gérer et prendre les bonnes décisions, le médecin devra tout d’abord savoir si les myalgies proviennent véritablement des statines ou sont liées à d’autres causes. Il ne faut pas oublier que d’autres médicaments que les statines comme les corticoïdes ou la colchicine peuvent aussi mener à des myalgies, tout comme de nombreuses autres causes non liées à la prise de médicaments. Un bon moyen de savoir si les statines sont à l’origine de ces myalgies consiste à arrêter ce traitement pendant un moment, en tout cas lorsque c’est possible (ex. patients à risque modéré ou bas), pour voir si les myalgies disparaissent ou non. Une étude a montré qu’une partie significative de patients qui recevaient un placebo, tout en croyant qu’il s’agissait de statines, ont néanmoins rapporté des myalgies, la preuve pour une partie de la population de l’effet placebo.
Si le médecin est sûr que les statines sont la cause d’effets secondaires de type musculaire, il dispose de plusieurs stratégies pour résoudre ce problème. La première consiste à changer de molécule, on sait qu’il existe de nombreuses statines aux propriétés parfois différentes. Le médecin peut privilégier des statines à longue demi-vie (qui mettent plus de temps à être éliminées de l’organisme) comme l’atorvastatine ou la rosuvastatine. Les statines hydrophiles semblent aussi mener à moins d’effets secondaires de type musculaire que celles plus lipophiles. Le médecin peut aussi changer de classe de médicaments en choisissant par exemple l’ezetimibe ou les fibrates.
Le Dr Cesena rappelle également qu’il s’agira de prendre en compte le risque d’interactions médicamenteuses lors de la prise de statines. Un cardiologue participant à cette présentation a indiqué que la prise de finastéride, un médicament courant contre la calvitie, peut mener à des interactions graves avec les statines comme par exemple une rhabdomyolyse (maladie potentiellement mortelle), notamment chez des sportifs.
Moment d’apparition des troubles et localisation
En cas d’effets secondaires de type musculaire, la localisation principale de ces douleurs et troubles se situe souvent dans le haut des deux jambes. Les symptômes des myalgies apparaissent en général 1 à plusieurs semaines après l’instauration du traitement et non 1 jour après la prise de statines, comme certains patients le rapportent (probable preuve d’un effet placebo).
Le Dr Cesena relève qu’un bas taux de vitamine D pourrait augmenter le risque de troubles musculaires lors de prise de statines, mais il manque encore des études à ce sujet.
Troubles cognitifs, sur la mémoire
Un autre effet secondaire qui a fait la une des médias ces dernières années est l’effet éventuel sur le système nerveux central. Le Dr Marcio Hiroshi Miname a rappelé qu’en février 2012, la FDA (autorité américaine de régulation des médicaments) a publié un communiqué sur le risque possible de troubles cognitifs et notamment de la mémoire avec l’utilisation des statines. Ces troubles semblent être réversibles, c’est-à-dire qu’après l’arrêt des statines, la mémoire revient.
Le cholestérol participe à la croissance du cerveau et on sait que 25% du cholestérol total se trouve dans le cerveau, notamment dans les gaines de myéline. Les statines peuvent théoriquement interférer avec la synthèse du cholestérol au niveau du cerveau. Il n’est toutefois pas possible de doser la protéine qui transporte le cholestérol dans le cerveau par une prise de sang classique comme on le fait pour le LDL ou le HDL. Les statines peuvent théoriquement traverser la barrière hémato-encéphale, notamment les statines très lipophiles comme la simvastatine, c’est moins le cas avec la pravastatine, une statine plus hydrophile. Les études cliniques sont toutefois contradictoires à ce sujet.
De ce fait, malgré des éléments théoriques, en pratique clinique on estime que pour le moment (état 2015) peu d’études ont montré l’effet négatif des statines sur la mémoire. Citons l’étude PROSPER, un travail de recherche portant sur 5804 participants, avec une partie prenant 40 mg de pravastatine et l’autre partie un placebo. Chez ces individus âgés entre 70 et 82 ans, les chercheurs n’ont pas montré une détérioration des troubles cognitifs en comparant le groupe placebo avec le groupe pravastatine.
Finalement, en cas de troubles cognitifs chez un patient sous statine, le médecin devrait exclure d’autres causes possibles avant de prendre les mesures nécessaires pour résoudre ce problème.
AVC hémorragique
Le Dr Wilson Salgado Filho rappelle, en citant la littérature médicale, que l’utilisation des statines abaisse le nombre d’incidence d’AVC, notamment les cas non mortels. Néanmoins, une grande étude clinique a toutefois montré que les statines peuvent légèrement augmenter le risque d’AVC hémorragique. Le risque d’AVC hémorragique semblait particulièrement élevé chez les hommes, les patients âgés et ceux prenant une dose élevée de statines. Chez les femmes post-ménopauses, l’association d’antiplaquettaires et de statines augmente le risque d’AVC hémorragique, comme l’a montré une autre étude publiée en 2015.
Pas d’effet cancérigène, au contraire
Finalement, le Prof. Renato Jorge Alves a montré dans son exposé que l’utilisation des statines n’avait pas d’effet cancérigène, comme parfois supposé notamment pendant la première mise sur le marché des statines. Des études scientifiques ont montré au contraire un effet probable protecteur des statines sur certains cancers. Pour le Prof. Alves, les travaux de recherche sur ce sujet sont souvent incomplets et insuffisants avec des erreurs dans la méthodologie. D’autres études sont nécessaires pour mieux comprendre la protection éventuelle des statines dans certains cancers, comme par exemple le cancer du pancréas.
Toutefois, comme Creapharma en a parlé, une étude parue en février 2015 a montré que les statines pouvaient permettre de réduire le risque de cancer du foie. Selon les chercheurs, la prise régulière de statines pourrait être utile notamment chez des patients à risque élevé de cancer du foie comme ceux souffrant de maladies chroniques hépatiques (hépatite B ou C par exemple) ou de diabète. Cette étude a été publiée le 26 février 2015 dans la version online du Journal of the National Cancer Institute.
Diabète et statines
Un participant a relevé le risque plus élevé de développer un diabète lors de prescription de statines. Creapharma avait également mentionné ces derniers mois un travail à ce sujet. En effet, une grande étude finlandaise publiée en mars 2015 dans la revue spécialisée européenne Diabetologia a montré que le risque de diabète de type 2, en tout cas chez des hommes blancs (l’étude a porté sur plus de 8’700 hommes blancs finlandais âgés de 45 à 73 ans), était environ deux fois plus élevé chez des personnes sous statines que ceux n’en prenant pas et 46% plus élevé après avoir pris en compte des facteurs de correction comme l’obésité, pour ne pas fausser les résultats. Selon les chercheurs, les statines augmentent la résistance à l’insuline de l’ordre de 24% et diminuent la sécrétion d’insuline de 12%.
Le 5 juin 2015 – Par Xavier Gruffat (pharmacien). Source : Congrès de la Société de Cardiologie de l’État de Sao Paulo (Congresso da Sociedade de Cardiologia do Estado de Sao Paulo). Remarque : Xavier Gruffat a participé à ce congrès du 4 au 6 juin 2015, l’un des plus importants et plus respectés congrès médicaux d’Amérique latine. Cet article se réfère à une conférence tenue le 5 juin 2015, de 10h30 à 12h00, avec le nom Eventos adversos relacionados ao uso de estatinas (Effets secondaires en lien avec l’utilisation des statines)