Interview avec le spécialiste en gériatrie Dr Christophe Graf qui fait face au Covid-19

GENÈVELe Dr Christophe Graf est un médecin spécialiste en gériatrie depuis 2010. Il est chef du département de réadaptation et gériatrie aux Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) en Suisse depuis 2019 et s’occupe avec son équipe de plusieurs patients Covid-19 en phase de récupération dans le canton de Genève (lire sa biographie complète en bas de l’interview). Le Dr Graf répond aux questions de Creapharma.ch pour nous éclairer en cette période de pandémie du Covid-19.

Creapharma.ch – Une fois n’est pas coutume je vais commencer par une question personnelle, je suis un homme de 40 ans et j’ai été diagnostiqué il y a un peu plus de 6 semaines (le 17 mars 2020) du Covid-19. Plus de 40 jours après je sens encore de légères douleurs aux bronches ou poumons avec parfois une petite toux grasse et une respiration non parfaite (je souffre à la base d’asthme léger). Je n’ai pas été hospitalisé et un scanner thoracique n’a pas montré de pneumonie ou peu développée. Je pense donc avoir souffert de symptômes modérés du Covid-19, suis-je un cas plutôt particulier avec des symptômes qui durent si longtemps ou vous observez aussi chez d’autres patients et notamment les seniors un tel étalement des symptômes pendant des semaines voire des mois ? En mars 2020, l’OFSP écrivait sur son site que les symptômes du Covid-19 léger ou modéré (sans hospitalisation) ne duraient que quelques jours.
Dr Christophe Graf – Nous avons finalement peu de recul concernant cette maladie. En effet, les premiers cas datant de début mars, il est difficile de savoir combien de temps les symptômes peuvent durer. Typiquement, les symptômes régressent en quelques jours, peut persister une certaine fatigue. Par contre, lorsque l’atteinte est plus sévère avec notamment une hospitalisation, les séquelles peuvent être aussi plus importantes (perte de mobilité, pertes de poids, trouble de la concentration) et durer plus longtemps. Ces patients peuvent nécessiter une réadaptation en milieu stationnaire.

Pouvez-vous nous décrire votre travail ainsi que celle de votre équipe ?
Je suis responsable d’un service de réadaptation qui traite principalement des personnes âgées fragiles ayant souffert de cette maladie. Ces patients présentent surtout une diminution de leur indépendance, une fatigue et une intolérance à l’effort. Leur prise en charge nécessite un programme de réadaptation coordonné interprofessionnel alliant intervention médicale, soignante, physiothérapeutique, ergothérapeutique et souvent logopédique et psychologique.

J’ai pu lire je crois dans “La Tribune de Genève” que les HUG donnent une grande importance aussi à la partie psychologique, surtout pour les personnes qui ont été hospitalisées, pouvez-vous nous décrire certains aspects de cette prise en charge ?
Les patients, suite à la maladie qui comporte un risque de décès et une souffrance psychique non négligeables dans cette population (peur de mourir, détresse respiratoire pendant plusieurs jours, isolement de leurs proches), peuvent présenter une sorte de syndrome de stress post-traumatique. Cet aspect est pris en charge par une équipe de psychologues qui effectue un travail de soutien et d’écoute des patients. Cette équipe s’occupe aussi du soutien des soignants (charge de travail augmentée, soins rapprochés de patients malades du virus avec peur de se contaminer) et des familles (soutien et entretien du lien avec les patients via des supports informatiques).

Ce déconfinement qui a déjà eu lieu en partie en Suisse et devrait commencer en France le 11 mai, en tout cas dans certains départements, ne vous fait-il pas un peu peur comme médecin en contact avec les patients, certains avec des symptômes significatifs et sans compter les décès.
Le plus important lors du déconfinement sera de respecter les consignes : distance sociale, pas de regroupement de personnes, lavage des mains régulier, port de masque là où cela sera recommandé. Le principal risque de cette maladie n’est pas tant le risque de mortalité individuel (même s’il est environ 10x supérieur à celui d’une grippe) que la nécessité de prise en charge hospitalière d’un grand nombre de cas infectés de tout âge (env 20%) risquant de déborder le système de santé et, par là-même, d’entraîner une augmentation de la mortalité aussi bien des patients souffrant de Covid-19 que de patients souffrant d’autres maladies (infarctus, accident vasculaire cérébral, etc…) qui ne pourraient plus être traitées correctement. Il faut donc à tout prix éviter une 2e vague aussi haute, voire pire que la première.

En voyant les patients, qu’est-ce qu’il vous marque le plus notamment comme symptômes dans la phase de récupération ?
Le plus marquant chez les patients sévèrement atteints est le nombre de personnes souffrant de troubles de la concentration et de troubles de mémoire. On sait maintenant que ce virus peut entraîner une réaction inflammatoire touchant les vaisseaux, notamment cérébraux.

Pour presque toutes les maladies, le médecin en sait logiquement plus que le patient, ici avec le Covid-19 qui passe en boucle sur les médias est-ce qu’il n’y a pas le risque que les patients en savent (parfois avec des fake news) un peu trop, ce qui pourrait mener à de l’anxiété ou dépression ?
La question de l’information est centrale dans cette pandémie. D’un côté, il y a les professionnels de santé qui apprennent à connaître ce virus, mais les certitudes que nous croyons avoir un jour peuvent être remises en question la semaine suivante. Savoir comment il se comporte, quels sont les meilleures approches, le meilleur traitement, tout cela prendra du temps. De l’autre côté, de multiples informations sont publiées tous les jours et le cas particulier devient en quelques heures, une vérité mondiale… Il faut être très prudent et éviter de prendre argent comptant les informations, même dans les revues scientifiques de renom. Le cas de la chloroquine est un bon exemple, celui d’un engouement extrêmement rapide sans preuves scientifiques, engouement vous l’aurez remarqué, qui a quasiment disparu.

Quel message peut-être d’espoir aimeriez-vous transmettre à ces patients atteints de Covid-19 en phase de récupération ?
Ces patients sont pour certains de réels survivants (intubation prolongée, multiples complications, etc…). Ils s’en sont sortis et devraient donc se projeter vers la possibilité de retrouver une vie quasi normale et de profiter de leurs familles. C’est aussi dans ce but qu’intervient les psychologues. Pour d’autres, la réadaptation n’est pas forcément différente que celle faisant suite à un autre épisode infectieux comme une pneumonie et le pronostic de récupération est identique.

Dr Christophe Graf, nous vous remercions pour cette interview.

Le 7 mai 2020. Entretien réalisé par e-mail entre la fin avril et le 6 mai 2020 par Xavier Gruffat (pharmacien, rédacteur en chef de Creapharma.ch).

Biographie du Dr Graf
Christophe Graf effectue ses études de médecine à l’Université de Genève où il obtient un doctorat en 2005 puis son FMH en médecine interne en 2007.  Il se spécialise en Gériatrie en 2010.  Il effectue ensuite 2 ans comme chef de clinique scientifique au service de Gériatrie. En 2012, il devient directeur médical d’un établissement de longs séjours sur le canton de Vaud, tout en restant actif au niveau enseignement et recherche à l’université de Genève. Après 4 ans dans cette fonction, il est nommé chef du service de réadaptation médicale aux HUG, puis chef du département de réadaptation et gériatrie en 2019. Il est nommé professeur assistant au Département de réadaptation et gériatrie en mai 2020.

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Informations sur la rédaction de cet article et la date de la dernière modification: 08.05.2020
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