WASHINGTON – Les nouvelles lignes directrices (guidelines) dans le traitement du cholestérol par statines ont mené à de l’embarras et de violentes controverses entre experts. La semaine dernière, les deux plus importantes sociétés savantes de cardiologie américaines l’American College of Cardiology et l’American Heart Association ont modifié leurs lignes directrices de prescription. C’est tout simplement une révolution dans le traitement du cholestérol et des maladies cardio-vasculaires en général.
Pour résumer, avec ces nouvelles guidelines le taux de LDL et cholestérol total n’est plus seulement pris comme objectif de traitement, les médecins sont amenés à considérer désormais aussi le risque cardio-vasculaire général. Un patient peut donc ne pas souffrir d’hypercholestérolémie mais présenter un risque cardio-vasculaire, car il souffre de diabète, et se voir prescrire ainsi une statine.
Avec ces changements, le nombre d’Américains sous statines, s’élevant actuellement à 36 millions, pourrait tout simplement doubler. Il est difficile de ne pas voir derrière le très puissant lobby de l’industrie pharmaceutique dans une vision de quasi risque zéro, afin d’augmenter massivement le nombre de personnes sous traitement. C’est un peu comme si on demandait à chaque individu de sortir toujours avec un casque dans la rue, pour diminuer l’éventuel risque en cas de collision entre un piéton et un véhicule. Le problème est que cette vision de risque zéro a un coût élevé pour des sociétés occidentales souvent en crise. Rappelons et c’est très important (quasi jamais rappelé par les industriels) que les statines sont utilisés comme moyen de prévention et pas de traitement. Lire aussi notre article sur les statines pour mieux comprendre
On sait que la médecine est très hiérarchique, souvent les recommandations émises par les sociétés savantes sont appliquées par les professeurs de grands hôpitaux ou d’universités (faculté de médecine), puis finalement par le médecin généraliste ou cardiologue. Comme les Etats-Unis est le pays le plus influent en médecine et science, cela peut concerner à terme chaque pays.
Les grands médias américains comme CBS ou New York Times en parlent beaucoup ces derniers jours, le journal de New York, plutôt de centre gauche ou du centre (référence française), se montre d’ailleurs très critique avec un article publié en première page. Ces nouvelles guidelines reposent en fait sur le calcul d’un risque cardio-vasculaire, celui-ci prend en compte plusieurs variables comme la race (caucasien, noirs), le diabète, le tabagisme, etc. Il en résulte de façon quasi algorithmique un risque cardio-vasculaire pour chaque patient, s’il dépasse 7,5% le médecin devrait prescrire des statines, même si le taux de cholestérol est normal. Notons que d’autres facteurs sont pris en compte, nous résumons ici pour rendre l’article plus digeste.
C’est ce risque cardio-vasculaire que critique deux médecins, Paul M. Ridker et Nancy Cook, de la prestigieuse Harvard Medical School. Pour eux il y a une claire surévaluation du risque cardio-vasculaire. Autrement dit, beaucoup trop de personnes vont désormais être sous statines. Or on sait que les statines, chez la plupart des patients, n’abaisse statistiquement que très peu le risque de mortalité. Ces médecins estiment dans une étude publiée dans la revue The Lancet qu’il y a clairement une erreur de calcul dans ces nouvelles recommandations. Selon leurs recherches, le risque cardio-vasculaire serait en fait surestimé de 75% à 150%.
Dans la pratique, un homme avec un risque réel de 4% de subir un accident vasculaire cérébral et de 4% d’une crise cardiaque aurait un risque total de 8%, ainsi avec ces nouvelles recommandations il devrait prendre des statines, même si son taux de cholestérol est dans la norme.
L’ancien président de l’American College of Cardiology, Steven Nissen, a même déclaré: “C’est choquant. Nous avons besoin de faire une pause et de réévaluer cette nouvelle approche avant son application”.
Mais les responsables en charge du comité de cardiologues qui ont mis au points ces nouvelles recommandations sont plus prudents : “Nous devons voir si les problèmes soulevés sont importants et estimer si des changements sont nécessaires” a dit au New York Times son directeur le Sidney Smith.
En début d’année, en France cette fois, une autre polémique a éclaté. Le livre du Pr Phillipe Even “La vérité sur le Cholestérol” a fait grand bruit. Dans cet ouvrage le professeur se montre très critique et estime que dans la plupart des cas l’utilisation préventive des statines pour abaisser le taux de cholestérol est inutile, car cela ne réduit pas le taux de mortalité (taux le plus important en médecine). Selon cet auteur, dans la plupart des cas, abaisser le mauvais cholestérol (LDL) ne diminue pas le risque cardio-vasculaire, car le cholestérol et surtout le LDL n’est en général par responsable de la formation d’athérome dans les artères. C’est une position qui a été critiquée en octobre 2013 par des médecins français estimant qu’arrêter la prise des statines pourrait provoquer plus de 1 000 morts en France. Il est difficile pour Creapharma d’y voir clair. Le média Prescrire, considéré comme neutre face à l’industrie pharmaceutique, apporte des informations intéressantes sur la prescription des statines en incluant notamment des risques statistiques dans la réduction du risque d’événements cardio-vasculaires, à lire ici sur le site Prescrire. (remarque, si le lien ne fonctionne pas, allez sur www.prescrire.org et effectuer une recherche dans leur site).
Il faut relever que ces recommandations n’ont bien sûr pas été émises par l’industrie pharmaceutique mais par des médecins de ces deux sociétés savantes de cardiologie. Ceux-ci clament leur indépendance face aux industriels. Or on sait que l’industrie pharmaceutique travaille de façon très subtile avec des méthodes d’influence touchant souvent plus l’inconscient qu’un état purement rationnel.
Un point aussi important, c’est facile d’accuser toujours l’industrie pharmaceutique, mais tout le système de santé en profite, des médecins aux pharmaciens. Si des réformes doivent être réalisées dans le futur , il faudra considérer l’ensemble du système et toute la chaîne afin probablement de l’orienter vers un système où le citoyen paiera quand il est en bonne santé, inverser totalement la logique. Sans réforme, ce genre de situation va se manifester continuellement. Car personne dans toute la chaîne de santé a intérêt financièrement à avoir des patients en bonne santé, plus il est malade et plus les intervenants gagnent de l’argent.
Critique du système de santé actuel et idées pour le futur – Analyse
Le système de santé ne s’est pas créé sur un aspect systémique mais sur la résolution de problèmes (maladies) au niveau individuel il y a de cela des centaines d’années. En fait, aucune société occidentale (on sait qu’en Asie il existe quelques innovations) n’a considéré le système de santé en entier et dans sa globalité, le système s’est créé pour que le médecin soigne par exemple une pneumonie et le pharmacien délivre des antibiotiques.
A l’époque cela pouvait fonctionner (les industriels étaient plus petits, il n’y avait pas de chaînes de pharmacie devant atteindre une rentabilité), mais dans une société qui veut toujours plus un risque zéro en l’orientant vers la prévention et donc où tout le monde profite des maladies chroniques (diabète, cholestérol, hypertension, etc.), il faudra totalement repenser le système, avant qu’il ne devienne encore plus “corrompu” et beaucoup trop cher. Une idée pourrait être que chaque médecin ou pharmacien reçoive par exemple un forfait pour prendre soin de x patients dans sa ville ou village, il agira sur la prévention et plus uniquement sur le traitement. Avec ce système, il n’auront plus besoin de “créer” des malades, certains médecins de faire revenir un patient trop souvent au cabinet ou de surévaluer le risque pour gagner leur vie. Si on regarde en détail, la santé n’a rien de libéral, ce sont les politiciens et institutions étatiques qui fixent les prix des médicaments, organisent les assureurs maladie, donc ce genre de révolution ne peut pas être taxée d’idée étatique, vu que le système l’est déjà dans tous les pays du monde.
C’est une révolution probablement nécessaire pour éviter une médecine clairement à 2 vitesses, sinon on risque un jour de payer jusqu’à 30% de notre PIB (ou salaire) pour la santé, aux Etats-Unis c’est déjà 20% et invivable pour certains individus. Même dans la riche Suisse un sondage paru ces jours a montré qu’environ 25% des Suisses n’avaient plus d’argent à la fin du mois, en grande partie à cause du prix trop élevé des assurances maladies (pour une classe moyenne avec 2 enfants, c’est de plus en plus dur, le coût mensuel des assurances maladie peut monter par famille jusqu’à 1000.- francs suisses, environ 800 euros). Avis aux politiciens…
Remarque: attention, cet article a une portée globale, il ne cible pas un système de santé particulier. Car on sait qu’il existe de très grandes différences entre le système de santé français, suisse, belge, canadien, américain, etc.
Article écrit par Xavier Gruffat, Rédacteur en chef et fondateur de Creapharma, Pharmacien, Dipl. MBA – Avec agences de presse (Ansa, Italie), CBSNews (USA), Webmd (USA), Veja (Brésil).
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