Le syndrome de Sjögren est une maladie auto-immune généralisée. Ce syndrome se caractérise par une inflammation des glandes lacrymales et salivaires, entraînant une sécheresse chronique des yeux et de la bouche. La fatigue est fréquente, et environ un tiers des patients présentent des complications affectant les poumons, la peau, les reins et les articulations. La maladie a été premièrement identifiée par le médecin suédois Henrik Sjögren en 1933, d’où son nom. Creapharma.ch a demandé à la Prof. Valérie Devauchelle-Pensec, spécialiste de la maladie, de nous expliquer les différentes caractéristiques du syndrome de Sjögren.
Creapharma.ch – La maladie de Sjögren est une maladie dite auto-immune, comment expliquez-vous à vos patients ce trouble lié à la défense immunitaire ?
Prof. Devauchelle-Pensec – Je leur explique que l’immunité est un système fait pour nous défendre contre les agressions extérieures, mais aussi pour réguler des mécaniques lors de notre fonctionnement (par exemple la gestion des déchets lors de la mort de nos cellules). C’est un système dont la régulation est complexe et très fine, un peu comme un orchestre. Il nécessite que tout le monde réalise des activités simultanées pour une belle symphonie entre les cordes, les vents ou le chef d’orchestre. Que parfois ce mécanisme dysfonctionne, les ordres ne sont pas bien compris, certains instruments jouent trop fort ou pas assez. L’immunité est dérégulée. Certaines cellules vont alors être trop stimulées ou pas assez, entraînant l’inflammation de nos glandes salivaires et leur dysfonctionnement important allant parfois jusqu’à l’arrêt de leur fonctionnement (plus de salive ou de larmes par exemple).
Est-ce que le syndrome de Sjögren touche davantage les femmes ou les hommes ? Et à quel âge, en général, diagnostiquez-vous ou vos collègues médecins ce syndrome ?
C’est une maladie qui atteint 9 femmes pour un homme et qui se diagnostique plutôt vers 50 ans, mais des enfants peuvent être atteints ainsi que des femmes jeunes. À 50 ans arrive la ménopause et une profonde carence en oestrogène qui entraîne également des symptômes de sécheresse pouvant rendre le diagnostic difficile au début, surtout pour des patientes ne présentant que des symptômes de sécheresse. L’apparition à un âge plus jeune éveille plus l’attention des médecins de même que l’apparition d’autres symptômes comme des parotidomégalies.
Aux États-Unis, une fondation (Sjögren’s Foundation) estime qu’environ 4 millions d’Américains ou un peu plus de 1% de la population sont atteints de ce syndrome ? Mais vous me disiez en préparant l’interview que ce pourcentage, en tout cas en France, serait bien plus bas. Est-ce qu’on connaît en France le nombre de personnes touchées ?
Oui bien sûr, nous avons une publication en cours sur le sujet et plusieurs publications en Europe concernant ces données : prévalence inférieure à 1/ 2000 (seuil pour maladie rare en France), CO SFR 2022 et abstract EULAR 2022 : 32 per 100 000 en 2018, données issues de la base SNDS française. Publication Divi Cornec Ann Rheum Dis 2015 : prevalence 38,95 / 100 000.
Les symptômes les plus fréquents du syndrome de Sjögren, selon la Sjögren’s Foundation américaine, sont généralement les yeux secs, la bouche sèche et la fatigue ? Constatez-vous aussi ces symptômes chez vos patients ?
Bien sûr, 80% des patients ont ces symptômes. Et nous n’avons actuellement que quelques traitements symptomatiques à leur proposer. Alors que l’impact sur leur qualité de vie est important.
La liste de symptômes est très longue (douleurs musculaires, peau sèche, troubles oculaires…), cela rend le diagnostic difficile…
Ce qui rend le diagnostic difficile, c’est surtout la prévalence de ce qu’on appelle le sicca symptômes, c’est-à-dire la sécheresse idiopathique liée à l’âge. Du coup, pour identifier un Sjögren au sein de cette population, c’est parfois difficile en l’absence d’autres manifestations systémiques.
Est-ce qu’on connaît les causes du syndrome Sjögren ? Les statistiques (épidémiologiques) montrent comme on l’a vu qu’il y a beaucoup plus de cas aux États-Unis qu’en Europe, est-ce lié à une alimentation plus pro-inflammatoire des Américains ? Ou un terrain génétique différent ? Des statistiques exagérées aux États-Unis ou au contraire trop faibles en Europe ?
On ne sait pas, probablement un subtil mélange de cela. La génétique n’est pas franchement différente entre les Américains et les Européens, mais par contre parfois les méthodes de diagnostic sont différentes, ainsi les données de la région de Rochester (Maciel et al) montrent que la prévalence est très différente si l’on se fie aux déclarations ou si on étudie qui remplit réellement les critères de classification du Sjögren : « 10 per 10,000 population (physician diagnosis): 248,000 patients nationwide 2 per 10,000 (classification criteria): 53,000 patients nationwide ». La prévalence chute si l’on se réfère aux tests réalisés.
Les données européennes sont confirmées par plusieurs approches et plusieurs publications et l’Europe travaille de longue date sur le Sjogren avec énormément de centres experts, donc les données sont très fiables. Même si bien sûr il est toujours très difficile de trouver une méthode fiable pour « compter » les patients. La part très inflammatoire de l’alimentation pourrait être une piste même si je n’ai pas de données actuellement.
Est-ce correct de dire que le syndrome de Sjögren est souvent associé à d’autres maladies, notamment rhumatismales comme la polyarthrite rhumatoïde (PR) ou le lupus ? (Est-ce qu’on sait pourquoi, maladies auto-immunes) ?
Dans notre travail récent sur le SNDS avec le Pr Seror et Chiche, nous avons identifié 23’848 patients. Le dérèglement de l’immunité amène à des possibilités de formes frontières entre les différentes MAI. On parle de maladie de Sjögren ou de Sjögren ogen associée à telle ou telle maladie. C’est également assez communément retrouvé dans certains modèles murins de connectivités. Mais on ne connaît pas le mécanisme exact.
Dans le syndrome de Sjögren, le système immunitaire cible d’abord les glandes qui produisent les larmes et la salive comme les glandes salivaires. Est-ce qu’on sait pourquoi le corps s’attaque en premier à cette partie du corps ?
On pense qu’il y a une expression mal contrôlée d’auto antigène dans les glandes exocrines avec une expression de molécules BAFF et une production d’interféron. On a vu également grâce à une de nos études récentes (étude MASAI) que la pathologie est présente au sein des glandes salivaires dès le début des symptômes. Il existe donc très probablement une phase assez longue asymptomatique de développement de la maladie avant les premiers symptômes rapportés par le patient.
La région de la bouche est logiquement assez souvent touchée avec des symptômes comme des maux de gorge, une augmentation des caries, notez-vous aussi ces symptômes douloureux chez vos patients ?
Les maux de gorge ne sont pas fréquents, les caries oui. Les patients se plaignent parfois de brûlures buccales, de toux sèche.
Quels sont les principaux traitements (médicaments) utilisés pour diminuer les symptômes du syndrome de Sjögren ?
Des traitements favorisant la stimulation de la sécrétion comme la pilocarpine et des traitements visant à suppléer l’absence de sécrétion : substituts lacrymales et salivaires. Le problème étant souvent le mauvais taux de remboursement de ce traitement (ndlr. en référence à la France).
Est-ce qu’on a des médicaments biologiques ou biothérapeutiques (en général des anticorps à prendre en injection) spécifiques pour soigner le Sjörgen comme contre la PR ?
C’est en cours. Pour l’instant cela se résume au rituximab dans certaines indications très précises. Mais les choses bougent énormément au cours de ces deux dernières années, avec des résultats extrêmement intéressants concernant plusieurs cibles avec des traitements biologiques ciblant le LB la voie du CD40L ou des inhibiteurs de tyrosine kinase.
Comme pour la polyarthrite rhumatoïde qui est également une maladie auto-immune, diriez-vous qu’il est important, pour ne pas dire essentiel, de commencer tôt le traitement, surtout pour éviter les complications ?
On a envie de le penser pour éviter que la glande salivaire ne soit trop déstructurée par l’infiltrat inflammatoire et pour pouvoir stopper la formation de centres germinatifs et l’activation chronique des lymphocytes blancs aboutissant au développement de lymphomes, mais pour l’instant rien ne permet de le prouver.
Finalement, quels bons conseils en prévention ou thérapie, en plus des médicaments, donnez-vous à vos patients pour mieux vivre avec la maladie ?
Tout d’abord je les rassure sur l’évolution de leur maladie. Souvent elle apparaît comme un coup de tonnerre, mais reste assez stable au cours du temps. Puis je leur conseille de rester actifs tout en leur expliquant que la fatigue est l’un des symptômes et qu’il faut la gérer en adaptant son emploi du temps, mais sans sombrer dans la dépression.
Je leur conseille de participer à des séances d’éducation thérapeutique et de se rapprocher des associations de patients pour mieux comprendre leurs symptômes et savoir y faire face. D’apprendre le massage des parotides, le clignement des paupières, le lavage oculaire ou d’aller voir un gynécologue pour la sécheresse vaginale. Enfin, je leur dis que la science progresse à grands pas et que nous trouverons des médicaments sous peu.
Date de publication sur Creapharma.ch : 28.11.2023. Interview réalisée par e-mail en novembre 2023 par Xavier Gruffat (pharmacien). Crédits photos : divulgation, via ACR (2023), Adobe Stock.