Polyarthrite rhumatoïde : mieux comprendre la maladie avec le Prof. Axel Finckh des HUG

SAN DIEGOLa polyarthrite rhumatoïde (PR) est une maladie rhumatismale inflammatoire auto-immune. Les maladies auto-immunes résultent d’un trouble du système immunitaire conduisant ce dernier à s’attaquer aux constituants normaux de l’organisme. Pour mieux comprendre la maladie, Creapharma.ch s’est entrenu avec le professeur Axel Finckh, médecin rhumatologue aux HUG à Genève en Suisse. Il a également révisé en 2023 le dossier complet sur la PR du site Creapharma.ch. L’interview a été réalisée en novembre 2023 lors du principal congrès américain et mondial de rhumatologie, l’ACR, qui s’est tenu en 2023 à San Diego en Californie (Etats-Unis).

L’interview écrite publiée ci-dessous a été éditée, pour voir l’entretien en entier, regardez notre vidéo publiée sur YouTube.

Creapharma.ch – Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la polyarthrite rhumatoïde en quelques phrases ?
Prof. Finckh – Pour une raison encore incomprise, l’organisme s’attaque à un constituant de sa propre articulation, soit la poche synoviale (capsule articulaire). Cette structure est reconnue comme un corps étranger et de la même façon que si c’était une bactérie ou un virus, l’organisme l’attaque. On peut dire qu’il s’agit un peu d’une “guerre civile”, car l’organisme s’attaque à lui-même. Au lieu d’utiliser ses forces pour nous défendre contre l’ennemi.

Comme on l’a vu, les maladies auto-immunes attaquent ses propres cellules, mais les causes exactes semblent encore un peu mystérieuses. Est-ce que la recherche sur les causes exactes de la PR avance ? Pouvez-vous nous parler des risques ?
La recherche avance. On essaie de comprendre pourquoi dans une même famille certains développent la maladie et d’autres pas. On a une étude en Suisse qui s’appelle “SCREEN-RA”, un projet soutenu par le Fonds National de la Recherche Scientifique Suisse (FNS) où on enrôle des personnes faisant partie de familles avec des maladies auto-immunes. En fait la maladie ne commence pas dans l’articulation mais au niveau d’une muqueuse, suite à des guerres entre bactéries au niveau du microbiote ou microbiome. Les régions muqueuses touchées sont la bouche, le poumon, le tube digestion ou la sphère génitale. Ils se développent (dans les muqueuses) des anticorps qui tout à coup se dirigent non seulement contre la bactérie mais contre des structures qui sont à nous au niveau des articulations. C’est comme cela que l’on imagine actuellement. Bien sûr il y a aussi un terrain génétique favorisant, il y a des familles où c’est fréquent, d’autres où c’est plus rare.
On sait que des facteurs environnementaux favorisent la PR, comme le tabac. Toutefois, il faut un facteur génétique prédisposant pour augmenter fortement (environ 40x plus) le risque de PR si une personne fume. Mais la pollution peut aussi augmenter le risque de PR, comme c’est le cas en Asie où les femmes ne fument pas (ou peu) mais travaillent parfois dans des environnements très pollués ou très poussiéreux. En Suisse, ce qui était connu comme facteur de risque était le percement de tunnel, ou actuellement habiter proche d’une autoroute avec des polluants inhalés.

En général, les rhumatismes touchent surtout des personnes de 60 ans ou plus. Mais la polyarthrite rhumatoïde à la différence d’autres maladies rhumatismales peut commencer déjà assez tôt, est-ce correct ? Parfois même des enfants ou des personnes de moins de 30 ans sont touchés ?
Globalement, les maladies auto-immunes touchent des gens relativement jeunes. A l’hôpital on soigne des gens souvent d’âge moyen. Parfois même des enfants ou des moins de 30 ans.

Pourquoi est-ce que c’est si important de traiter la maladie de façon précoce ?
Je vais essayer de l’expliquer simplement. Le raisonnement de l’oncologue (ndlr. spécialiste du cancer) qui traite une tumeur a l’idée de taper ou d’agir fortement assez tôt, avant qu’il y ait des milliards de cellules cancéreuses. Il y a un peu le même raisonnement chez nous en rhumatologie. Il y a un certain nombre de cellules auto-réactives qui reconnaissent le soi, c’est-à-dire nos cellules, comme étant un ennemi. Plus on attend et plus ces cellules se multiplient. Quand on en a x millions, cela devient très difficile de faire marche arrière. Alors que si on tape ou agit assez fort mais précocement on arrive à voir chez un certain nombre de gens où on peut se retirer avec le traitement et voir une rémission, comme en oncologie. On parle de rémission sans traitement, mais cela devient très rare quand les gens ont eu plusieurs années d’évolution et n’ont rien pris.

Vous avez d’ailleurs monté un programme de dépistage ?
Ce programme est destiné aux personnes dont on pense être à risque plus élevé, car ils sont dans leur famille des maladies auto-immunes comme la PR, le lupus ou certaines formes de diabètes qui commencent pendant l’enfance. On propose donc de faire un dépistage.
Etude scientifique : Pour faire avancer la recherche, si vous avez un parent atteint de PR et que vous ne souffrez actuellement pas de la maladie participez à un travail scientifique des HUG à Genève

Est-ce qu’on sait pourquoi la maladie se caractérise par des phases de poussées (flares ou flare-ups en anglais) et des phases de rémission ? Est-ce qu’il y a un côté un peu mystérieux ?
Oui, cela reste un peu mystérieux. Mais on a deux ou trois pistes. On sait qu’une grosse période de stress comme un décès ou divorce peut favoriser les poussées pendant l’année qui suit. Et plus récemment, ils ont fait une analyse sur la présence de bactéries dentaires en circulation. Il semble que certaines personnes qui ont une parodontite peuvent faire circuler des bactéries dans leur corps et cela favorise des poussées dans les 15 jours.

Le méthotrexate reste-t-il le traitement, en général, de référence pour un patient nouvellement diagnostiqué de PR ?
Oui, il continue à l’être. Car il s’agit d’un équilibre entre tolérance d’un côté et efficacité de l’autre. C’est un médicament qui a un bon équilibre ou balance, pas chez tout le monde mais chez environ 90% des gens. Il est relativement bien toléré et comme médecin on l’aime bien, car nous avons un antidote. Il faut rappeler qu’il faut prendre le méthotrexate chaque semaine et non pas chaque jour. Mais si un patient en a pris trop, on peut donner de la vitamine B9 ou acide folique qui agit comme antidote. On arrive donc au besoin à renverser la toxicité du médicament.

Pour le moment on peut ralentir la maladie, peut-être même l’arrêter mais il n’existe pas de médicaments pour guérir la PR, est-ce correct ?
Oui, c’est vrai.

Les nouveaux médicaments appelés biologiques, biothérapies ou biomédicaments ont révolutionné la maladie, expliquez-nous…
Oui, ils sont très efficaces. Ils sont très ciblés à la différence de thérapies antérieures qui tapaient de façon large. Avec une biothérapie on coupe sélectivement une voie de communication, si je prends une comparaison militaire, on coupe une voie de communication entre les troupes. Il y a peu de dommages collatéraux et c’est très précis. Soit on coupe un mécanisme de communication entre les cellules ou soit on inhibe des cellules, on les retire du front.

Comme pharmacien je dis souvent que la médecine, au niveau des traitements, est en train de passer de la chimie à la biologie, avec beaucoup d’injections. On parle d’ailleurs souvent actuellement d’industrie biopharmaceutique et plus pharmaceutique. On a de plus en plus d’anticorps.
Oui, pourquoi en injection ? J’explique souvent à mes patients qu’il s’agit d’une protéine. Comme un oeuf il faut le garder au frigo sinon cela se périme. L’anticorps, si on le mange ou l’avale est détruit au niveau de la sphère gastro-intestinale. Il faut donc l’injecter, car à ce moment-là on trompe l’organisme qui croit que c’est sa propre protéine. Il la traite comme un anticorps qui nous appartient. Il est considéré par le corps comme un anticorps pour nous défendre par exemple contre les bactéries mais en fait il a une autre fonction.

Est-ce que de nouvelles molécules sont apparues ces 3 à 5 dernières années sur le marché ? On est ici en novembre 2023 au plus grand congrès de rhumatologie au monde, à San Diego en Californie, congrès organisé par ACR. On sait qu’il commence à y avoir beaucoup de médicaments biologiques contre la PR…
Oui, il y a beaucoup de médicaments. Il y a toujours de nouvelles cibles qui sont proposées. Par exemple à ce congrès (ACR 2023), des études rapportent des anticorps qui bloquent une sorte d’hormone qui active le lymphocyte B. Cela semble assez efficace pour éviter que l’organisme crée une grosse inflammation. La recherche avance…

Parfois il faut opérer une ou plusieurs articulations, avec les biomédicaments, est-ce que le nombre d’opérations chirurgicales a fortement diminué, par exemple aux HUG ?
Oui, fortement. Les opérations ont beaucoup diminué. Si on parle à nos collègues chirurgiens des mains, l’opération des mains représentait la moitié de leur travail. Aujourd’hui ils voient cela une fois par mois. Bref, l’opération est devenue excessivement rare. L’opération est réservée à une articulation détruite. Si le cartilage est mort, il est impossible de revenir en arrière. D’où à nouveau l’importance de prévenir.

Vous disiez dans une autre interview que les conseils de prévention de la PR ressemblent à ceux des maladies cardiovasculaires, pourriez-vous préciser ?
Une grande étude suédoise a montré l’effet de l’alimentation sur la PR, trop de viande augmente le risque de cette maladie rhumatismale. C’est dans la même logique que la prévention des maladies cardiovasculaires (ex. crise cardiaque, AVC). Il s’agira aussi de manger des fruits et légumes, riches en fibres alimentaires. L’arrêt du tabac s’avère aussi essentiel, en tout cas lors d’un terrain génétique favorable. L’exercice physique a également un effet, mais peut-être de façon plus indirecte par une action contre le stress. Une fois la PR déclarée, l’exercice physique régulier augmente l’autonomie du patient. Attention, avec une articulation enflammée, il s’agira d’éviter des sports à impact. Finalement, une grande étude a montré l’effet favorable sur la PR et d’autres maladies auto-immunes de la vitamine D et des oméga-3, avec une réduction d’environ 1 tiers. On peut obtenir de la vitamine D notamment en s’exposant au soleil (ex. 15 minutes par jour, un peu plus en hiver). On trouve les oméga-3 notamment dans les poissons gras.

Vidéo de notre chaîne YouTube

Le 17 novembre 2023. Interview réalisée le dimanche 12 novembre dans le cadre du congrès ACR Convergence à San Diego, Californie, Etats-Unis. Ces informations vous sont présentées par Creapharma.ch et ne sont pas sponsorisées par l’American College of Rheumatology (ACR), ni n’en font partie.

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Informations sur la rédaction de cet article et la date de la dernière modification: 18.11.2023
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